Les Français et l’OTAN

Le retour de la France dans l’OTAN, annoncé par Nicolas Sarkozy le 7 février dernier à Munich, à l’occasion de la Conférence annuelle sur la sécurité en Europe (Wehrkunde), a suscité de vives réactions dans les milieux politiques de gauche et du centre ainsi que chez quelques gaullistes à droite. Cette décision semble, en revanche, être passée quasi inaperçue de l’opinion publique. 

Il est probable que les Français accueilleront avec une grande indifférence la réintégration officielle de la France dans le Comité des plans de défense et dans le Commandement militaire permanent de l’OTAN qui sera officialisée début avril à Strasbourg lors du sommet de l’OTAN célébrant les soixante ans de l’Alliance. Ils ne sont pas surpris par une décision que le chef de l’Etat avait annoncée dès l’été 2007.

Le président de la République ne manquera pas d’ailleurs, selon une dialectique qui lui est propre, d’expliquer que la France ne fait de la sorte que sortir de l’hypocrisie puisque Paris a déjà repris toute sa place au comité militaire de l’OTAN sur décision de Jacques Chirac le 5 décembre 1995. Le chef de l’Etat s’emploiera par ailleurs à valoriser les deux commandements qui seront attribués par les Etats-Unis à des généraux français en contrepartie de ce retour dans les structures militaires intégrées de l’OTAN : le commandement basé à Norfolk en Virginie (U.SA), appelé Allied Command Transformation (ACT), en charge de piloter les transformations de l’Alliance (doctrine, organisation et emploi des forces) ; un des commandements régionaux de OTAN, basé à Lisbonne, où se trouve le quartier général de la Force de réaction rapide de l’OTAN ainsi qu’un centre d’analyses de photos satellites. Nicolas Sarkozy soulignera également, comme il l’a fait dans un article cosigné par Angela Merkel dans le « Monde » et la « Süddeutsche Zeitung » qu’il est dans l’intérêt des Européens « de faire de la construction européenne et du partenariat atlantique les deux faces d’une même politique de sécurité ».

Marché de dupes ?

Ces arguments ont déjà été récusés par un certain nombre de leaders politiques. Dans une tribune publiée dans le « Figaro » (11.02.09), l’ancien ministre socialiste de la Défense Paul Quilès estime que le retour de la France dans les structures militaires de l’OTAN est payée en monnaie de singe par Washington. « Le poste de commandant suprême ACT envisagé pour la France, écrit ce spécialiste des questions de défense, peut sembler prestigieux, mais il est dans les faits secondaire. Localisé à Norfolk, en Virginie, actuellement occupé par un général américain, il a pour mission de faire évoluer le dispositif militaire de l’Alliance, pour le rendre apte à des opérations lointaines, mais ce n’est pas un commandement opérationnel. En réalité, ce sont les Etats-Unis qui détiennent l’essentiel de l’expertise et du pouvoir de décision en matière de réorganisation des forces et d’actualisation des doctrines militaires dans l’OTAN, ce qui explique la localisation de ce commandement ».

Paul Quilès rappelle par ailleurs que le commandement opérationnel suprême est détenu par le Saceur, dont personne n’envisage qu’il soit détenu par un autre militaire que le commandant des forces américaines en Europe. Il souligne encore que le commandement de Naples qui conduit les opérations en direction du Proche-Orient est aussi traditionnellement dévolu aux Américains et que celui de Lisbonne qui reviendrait à un Français est d’importance nettement moindre. Pour l’ancien ministre socialiste de la Défense, « l’européanisation de l’Alliance est donc un leurre. Tel est également le sentiment du président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, qui estime que « la France doit garder son autonomie » et qui réclame un débat au parlement sur le sujet tandis que le parti socialiste déclare que « rien ne justifie une telle décision, prise sans débat, alors qu’elle ébranle les fondements de la politique étrangère française ». De son côté, François Bayrou demande qu’une telle décision, qu’il qualifie de « défaite » pour la France soit soumise à référendum. « En nous alignant, déclare le président du MODEM, nous abandonnons un élément de notre identité dans le concert des nations, y compris dans le concert des nations européennes ».

Le test afghan

C’est également l’opinion de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin qui, se réclamant de l’orthodoxie gaulliste et de l’action de Jacques Chirac, explique que « que Paris aurait été obligée d’intervenir militairement en Irak en 2003 si la France avait été pleinement intégrée aux structures de commandement de l’Otan ». Ce dernier argument est sans doute celui qui pourrait conduire l’opinion à se saisir d’un débat qui jusqu’à présent n’excède guère le cénacle des experts. Les Français, aujourd’hui polarisés sur les problèmes engendrés par la crise économique auxquels ils sont quotidiennement confrontés, s’intéressent peu à ces questions militaires. En revanche, ils sont aujourd’hui majoritairement hostiles à l’intervention occidentale en Afghanistan comme ils l’étaient il y a quelques années à l’intervention en Irak. Selon un sondage publié par l’Institut CSA en août 2008, plus de la moitié des Français (55%) souhaitent un retrait des forces françaises stationnées en Afghanistan. Face à ceux qui veulent ce retrait « car la France s’enlise dans un conflit sur lequel elle n’a pas prise », ils sont 36% à préférer le maintien des troupes « car elles participent à la lutte contre le terrorisme international ».

Or, il faut s’attendre que le nouveau président des Etats-Unis réclame de la France, le mois prochain, qu’elle renforce son propre dispositif en Afghanistan où elle compte actuellement déjà 2.800 hommes dans le cadre de la Force internationale d’assistance à la sécurité, dirigée par l’OTAN et alors que, depuis août 2008, Kaboul et sa région sont placées sous le commandement du général français Michel Stollsteiner.

L’opinion ne manquera pas de lier cet engagement avec un retour dans l’OTAN. Les Français sont déjà portés à le faire dans le jugement négatif qu’ils portent sur le voyage inopiné de Nicolas Sarkozy à Bagdad. Ils se sentiront plus concernés encore si, comme c’est malheureusement probable, cette guerre fait de plus en plus de victimes françaises. On peut aussi s’attendre, si la presse se saisit enfin de ce conflit et en montre des aspects peu honorables et peu connus du grand public jusqu’à présent – villages rasés à titre de réprimande, traitement peu orthodoxe des prisonniers, camps de détention, que ce conflit devienne un abcès de fixation dans l’opinion , rapporté au retour de la France dans l’Otan. C’est donc l’Afghanistan qui a toute chance d’être le test à l’aune duquel les Français jugeront du bien fondé ou non de la décision du chef de l’Etat de faire retour dans les structures militaires intégrées de l’OTAN.