Les JO de Sotchi seront-ils bénéfiques aux droits de l’homme ?

L’Observatoire de la Russie au CERI dirigé par Marie Mendras a posé la question à Zoia Svetova, journaliste au New Times, de Moscou, de savoir si l’approche des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, en février prochain, pourrait modifier la politique répressive du régime Poutine. Zoia Svetova a dévoilé l’arbitraire et la soumission au pouvoir exécutif des institutions judiciaires russes dans « Les innocents seront coupables ». Karinna Moskalenko, avocate à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg et défenseur de Mikhail Khodorkovski et des enfants de Anna Politkovskaïa, a participé au débat.

Les XXIIèmes Jeux Olympiques d’hiver doivent avoir lieu en février dans le Nord Caucase, autour de la ville russe de Sotchi. Le choix définitif du site a été fait en juillet 2007. Après l’invasion russe en Géorgie le 8 août 2008, le président Mikhail Saakashvili avait demandé un boycottage de ces jeux. Il n’avait pas été le seul. Karel Schwarzenberg, alors chef de la diplomatie tchèque, avait déclaré dans un entretien au journal autrichien Die Presse : "Je trouve qu’organiser une fête de la paix et du sport dans le voisinage immédiat d’un lieu où l’on a massacré et mené une guerre d’agression est une idée étrange".

L’idée d’un boycottage est revenue depuis que Vladimir Poutine a durci la répression des droits de l’homme dans la Fédération russe. L’emprisonnement des Pussy Riots pour avoir chanté dans l’église du Saint Sauveur, et plus récemment la limitation des droits des homosexuels ont suscité un mouvement de protestation et un nouvel appel au boycottage. Le président du Comité international olympique s’en est inquiété. Il a déclaré lors d’une allocution au siège des Nations Unies « Nous sommes opposés à tout boycottage. Les boycottages vont complètement à l’encontre de l’esprit sportif et le privent de ses moyens de lutter pour la paix, la compréhension mutuelle et la solidarité. » Une résolution sera proposée à l’Assemblée générale par la Russie au nom du CIO pour demander une « trêve olympique » et appeler les pays hôtes à « promouvoir l’intégration sociale sans discrimination d’aucune sorte ».

Des fonctionnaires trop zélés ?

L’indignation et l’inquiétude ont cependant été ravivées par la récente arrestation par la police russe de deux journalistes norvégiens de la télévision agréés pour les Jeux, Norway’s TV2, qui préparaient un reportage critique sur la préparation des JO à Sotchi et ont été détenus et interrogés pendant trois jours. Les autorités russes se sont excusées de ce harcèlement policier.  La police locale a abusé de son autorité, a déclaré en substance le ministère russe des Affaires étrangères, qui a promis des sanctions à l’égard de fonctionnaires trop zélés.

Quant aux militants de Greenpeace qui protestaient contre des forages de Gazprom dans l’Arctique et dont le bateau avait été arraisonné par les autorités russes dans les eaux internationales le 18 septembre, ils sont toujours détenus en Russie sous l’inculpation de « piraterie » adoucie en « hooliganisme ». Le Tribunal international du droit de la mer, qui siège à Hambourg, s’est saisi de l’affaire à la demande des Pays-Bas.

Les interrogations des défenseurs des droits de l’homme

Les défenseurs des droits de l’homme en Russie se demandent si la proximité de l’événement peut infléchir la stratégie répressive des autorités russes. Le régime de Poutine va-t-il s’adoucir, « se démocratiser », grâce aux JO ? Zoia Svetova présente le problème autrement. Poutine et les siens ont besoin de changer de présentation, de montrer un « nouveau Poutine », depuis que l’affaire syrienne lui a permis d’être désigné comme « l’homme le plus puissant du monde » par le magazine américain Forbes.

Mais une autre image subsiste, celle de l’homme qui contrôle tout et fait des choses bizarres – certains Russes se demandent même s’il a toute sa tête. Il est obligé en tous cas de tenir compte de la nouvelle réalité, notamment celle des jeunes qui ne veulent pas vivre comme avant. Ils se sont manifestés aux élections pour la mairie de Moscou en septembre avec le succès d’Alexeï Navalny.

Certes, dit Zoia Svetova, le régime de Poutine a fait voter par la Douma les lois contre les homosexuels, contre les ONG, contre l’adoption d’orphelins russes par des étrangers, etc. Et cependant elle met de l’espoir en de petits changements. Non que, selon elle, Poutine veuille chercher à plaire aux Occidentaux, mais parce qu’il veut montrer qu’il n’est pas un dictateur. Il contrôle tout y compris l’opposition. Navalny est libre mais il ne peut pas se présenter aux électeurs avant cinq ans. Khodorkovski est en prison ; va-t-il sortir en août ? Pour fêter les vingt ans du Conseil des droits de l’homme de Russie, Poutine fera-t-il un geste ? Il a demandé à ce conseil de lui préparer une loi d’amnistie. 100 000 personnes seraient concernées, mais le projet sera soumis à l’administration présidentielle, au président, puis à la Douma ; qu’en restera-t-il ?

A l’approche des JO de Sotchi, le pouvoir se souvient du boycottage de 1980 par quelques pays occidentaux (mais pas par la France). On tente d’apporter quelques adoucissements. Pour faire oublier la loi contre les ONG « étrangères », le pouvoir a créé une fondation pour distribuer l’argent de l’Etat aux ONG russes… Les Pussy Riots devraient avoir purgé leurs peines en mars prochain mais l’amnistie pourrait leur permettre d’être libres dans un mois. Khodorkovski pourrait être libéré en août, sauf si un nouveau procès est intenté contre lui.

Vladimir Poutine envoie des signaux contradictoires. Une manière pour lui de désamorcer les critiques occidentales tout continuant à faire peser une menace sur les contestataires potentiels.