Les Ukrainiens défient Poutine

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Le président ukrainien Viktor Ianoukovitch l’avait reconnu devant ses collègues européens réunis à Vilnius : s’il a refusé de signer l’accord d’association avec l’Union européenne préparé depuis des mois, c’est parce qu’il a cédé à la pression de Moscou. Vladimir Poutine l’a menacé de taxer plus fortement les produits ukrainiens exportés en Russie et de lui vendre le gaz plus cher qu’aux Allemands. Avec une petite rallonge de Bruxelles, le président ukrainien aurait peut-être été sensible aux sirènes européennes, mais son chantage a échoué.

Il ne lui restait plus qu’à proposer une coopération tripartite Europe-Russie-Ukraine avant de rejoindre, penaud, la zone de libre-échange constituée autour de Moscou par le Kazakhstan et la Biélorussie. Pour les Russes, l’Ukraine est le berceau de la nation. Sa déclaration d’indépendance en 1991 a certes permis l’éclatement de l’URSS, mais c’était une étape indispensable vers l’indépendance de la Russie. Ensuite Kiev devait rentrer au bercail.

Sous l’impulsion des gouvernements brouillons issus de la « révolution orange », l’Ukraine s’était rapprochée de l’Europe à laquelle les Ukrainiens de l’ouest sont historiquement attachés. Viktor Ianoukovitch a ramené le balancier vers la Russie jusqu’à se mettre à dos les Européens. Vladimir Poutine a ainsi remporté un succès stratégique sur l’Union européenne à laquelle il dénie le droit d’associer les anciennes républiques ayant appartenu à l’URSS. Il était déjà assez douloureux pour celui qui veut restaurer la puissance soviétique de devoir accepter la perte des républiques baltes.

C’était sans compter sans la réaction d’une grande partie de la population ukrainienne qui n’accepte pas ce retour à la « souveraineté limitée » en vigueur du temps de Léonid Brejnev. Comme en 2004 quand ils ont eu l’impression de se voir voler la victoire à l’élection présidentielle par le parti prorusse de Viktor Ianoukovitch, les jeunes, les ouvriers, les intellectuels sont descendus dans la rue. Ils ont occupé la grande place de l’Indépendance dans la capitale Kiev et investi les centres du pouvoir politique. Ils ont forcé le candidat élu grâce aux fraudes à céder la place à un président pro-occidental, Viktor Iouchtchenko. La « révolution orange » de Kiev a donné des idées aux Géorgiens qui ont lancé la « révolution des roses » contre le vieil apparatchik Edouard Chevardnadze. A cette époque, Vladimir Poutine a craint que ces « révolutions de couleur » ne fassent tache d’huile dans l’ensemble de l’ancienne Union soviétique, et notamment en Russie. A Moscou aussi, des manifestants descendaient dans les rues pour protester contre les fraudes électorales et contre l’accaparement du pouvoir par les anciens caciques du régime communiste.

Si les manifestations actuelles de Kiev aboutissaient de nouveau à la destitution de Viktor Ianoukovitch et à un retournement de situation en faveur des pro-européens, ce serait une défaite pour Vladimir Poutine et son objectif de recréer une communauté eurasienne autour de Moscou, opposée à l’Union européenne et plus largement aux Occidentaux. Comme le disait le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, la Russie est menacée d’encerclement par des démocraties. Pour faire face à ce danger, il est à craindre que Vladimir Poutine ne durcisse la répression contre ses propres contestataires. Mais il est coincé à la fois par la proximité des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, qui doivent être une vitrine de la nouvelle Russie, et par une diffusion rampante des mouvements oppositionnels dans la société russe. La dislocation de l’empire soviétique n’a pas fini de faire sentir ses effets.