Les déclarations d’Emmanuel Macron sur la politique étrangère de la France, prononcées dans l’avion qui le ramenait de Pékin le 8 avril, ont choqué de nombreux dirigeants du monde occidental. L’un des plus sévères a été le député allemand de la CDU Norbert Rötgen, ancien président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, qui a parlé d’un « désastre diplomatique pour l’Elysée ». En France, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann a accusé le président français de porter atteinte à la « crédibilité » de son pays en Europe. Les eurodéputés socialistes ont dénoncé une attitude unissant « mépris pour nos alliés et faiblesse face aux dictatures ». Seuls Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont approuvé ses propos, approbation dont il se serait volontiers passé.
Une phrase en particulier nourrit le procès qui lui est fait par ses détracteurs. A propos de Taïwan, Emmanuel Macron a affirmé : « La pire des choses serait de penser que, nous Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». En paraissant mettre sur le même plan, au nom de l’autonomie stratégique de l’Europe, les Etats-Unis et la Chine, Emmanuel Macron a mis en cause les rapports de l’Europe avec les Etats-Unis, ses relations avec la Chine, à laquelle il tend la main, et la notion même d’autonomie stratégique, qu’il présente d’une manière qui ne peut qu’irriter ses partenaires. Au moment où la guerre en Ukraine devrait renforcer à la fois l’unité des Européens, leur solidarité avec Washington et leur défiance à l’égard de Pékin, principale alliée de la Russie, les propos du président français semblent plutôt malvenus.
Il est vrai que les positions défendues par Emmanuel Macron ne sont pas nouvelles. La nécessité pour l’Europe d’aller vers une autonomie stratégique a été proclamée maintes fois par le président français. Elle a même été reprise depuis quelques années par ses principaux partenaires, même si tous ne mettent pas sous cette formule exactement le même contenu. Quant à se distinguer des Etats-Unis et à ménager la Chine, elle fait partie des constantes de la diplomatie française, dans la tradition du gaullisme des années 60. Pékin a d’ailleurs aussitôt salué la parenté du positionnement d’Emmanuel Macron avec celui du général de Gaulle qui avait retiré la France du commandement intégré de l’OTAN et établi des relations diplomatiques avec la Chine. « L’Europe ne perdra pas d’amis, écrit le quotidien officiel Global Times, en se conformant à l’autonomie stratégique ».
Pourquoi s’émouvoir aujourd’hui de déclarations qui ne font que refléter la politique traditionnelle de la France ? D’abord parce que le moment est mal choisi pour distiller de telles confidences à la veille d’importantes manœuvres chinoises d’encerclement de Taïwan dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne confirment pas la volonté de paix affichée en présence du président français. Ensuite parce que la formulation des propos tenus par Emmanuel Macron est parfois maladroite, notamment lorsque celui-ci évoque le risque pour l’Europe d’être entraînée « dans des crises qui ne seraient pas les nôtres », sous-entendu sur la question de Taïwan, ou lorsqu’il compare l’unité de la Chine, incluant apparemment Taïwan, à celle de l’Europe.
Enfin, au-delà des maladresses du président français, que Raphaël Glucksmann attribue à son « narcissisme », la question que soulèvent ses paroles est celle des ambiguïtés de la politique française. Emmanuel Macron souhaite développer l’autonomie stratégique de l’Europe, et il a raison. Mais il sait qu’une partie des Européens n’y croit pas vraiment et donne la priorité à l’OTAN, c’est-à-dire aux Etats-Unis. D’où la nécessité de tenir sur ce sujet un langage prudent, qui ne soit pas perçu comme une provocation par les autres Etats de l’Union européenne. Emmanuel Macron ne veut pas que l’Europe soit un vassal des Etats-Unis. Très bien, mais ce n’est pas une raison pour les défier au moment où ils apportent à l’Ukraine un soutien décisif. Emmanuel Macron entend intensifier le dialogue avec la Chine. C’est une bonne idée, à condition de ne pas justifier la stratégie chinoise à l’égard de Taïwan. Sur ces questions, la recherche d’un équilibre est difficile mais indispensable.
Thomas Ferenczi