L’emploi d’armes chimiques dans les opérations militaires est associé dans la mémoire des peuples occidentaux aux terribles tragédies des deux grands conflits du XXème siècle. Les gaz de 14-18 ont tué près de cent mille personnes et en ont blessé près d’un million, qui en ont porté les stigmates longtemps après la fin des hostilités. Quant aux chambres à gaz de 39-45, elles sont loin d’être un « détail » de l’histoire, n’en déplaise à Jean-Marie Le Pen. Elles ont rendu particulièrement haïssable le souvenir des massacres dont elles ont été l’instrument. Voilà pourquoi sans doute le recours aux outils chimiques est devenu l’un des tabous du droit de la guerre, l’interdit majeur des guerres modernes.
Certains ont beau dire qu’il n’est pas plus acceptable de mourir sous un bombardement classique que d’être la cible d’agents toxiques, il n’empêche que l’armement chimique reste dans l’imaginaire collectif comme un signe de barbarie. Au-delà des réminiscences d’un passé douloureux, il est d’autant plus un objet d’horreur qu’il provoque la mort dans des conditions particulièrement atroces et que, de surcroît, il vise prioritairement les populations civiles. Consciente de la cruauté de ces gaz meurtriers, la communauté internationale a légiféré au XXème siècle pour tenter de les éliminer.
En 1925, le protocole de Genève, entré en vigueur en 1928, a prohibé l’usage des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que les moyens bactériologiques. Mais il n’en a interdit ni la production ni le stockage. Il n’a pas non plus prévu une procédure de vérification. Aussi ses effets ont-ils été limités. Ce n’est qu’en 1993 qu’un nouveau texte a été signé, la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, entrée en vigueur en 1997. Une Convention sur l’interdiction des armes biologiques avait été signée en 1972 avant d’entrer en vigueur en 1975.
La Convention sur l’interdiction des armes chimiques demande l’interdiction complète de ces armes, prohibant leur mise au point, leur fabrication, leur stockage et leur usage. Elle ordonne la destruction des arsenaux existants. Elle crée une institution, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) chargée de vérifier que les engagements pris sont tenus. La plupart des Etats ont souscrit à ces obligations mais il est clair que tous les stocks n’ont pas été détruits.
Le régime de Bachar al-Assad a usé plusieurs fois de telles armes contre ses compatriotes, à la fois pour accélérer la victoire de ses forces là où elles rencontraient des résistances et pour semer la terreur dans l’ensemble du pays. Il s’est donc exposé aux représailles des Occidentaux, qui avaient renoncé à intervenir en 2013 après une précédente attaque chimique mais qui, en 2018, ont décidé de mettre leurs menaces à exécution. Cette riposte était nécessaire. Elle n’avait pas pour but de renverser le régime de Damas, mais d’opposer un non catégorique à l’emploi des armes chimiques. Même si elle a été conduite sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies, bloqué par le veto russe, elle peut légitimement se réclamer du respect du droit international.