Les audaces mesurées de François Hollande

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Un gouvernement économique européen, pourquoi pas ? La proposition de François Hollande n’est pas nouvelle, elle reprend une idée qui paraît de bon sens à partir du moment où les Européens entendent coordonner plus étroitement leurs politiques économiques. Mais on est tout de même tenté de se dire que ce gouvernement économique existe déjà.

Ou plutôt qu’il en existe plusieurs : le Conseil européen, qui réunit plusieurs fois par an les chefs d’Etat et de gouvernement, fonctionne comme un gouvernement européen ; le Conseil des ministres, qui rassemble les ministres des finances, joue à son niveau le même rôle ; l’eurogroupe, qui assure la liaison entre les ministres des finances de la zone euro, fait de même pour les pays qui ont en commun la monnaie unique ; enfin la Commission européenne, qui se présente souvent comme l’exécutif de l’UE, fait également office, d’une certaine façon, de gouvernement et le commissaire aux affaires économiques et financières, le Finlandais Olli Rehn, de ministre européen des finances.

Comme nul ne prévoit l’effacement de ces organismes au profit d’un futur gouvernement économique, on est en droit de se demander ce que veut exactement le président français. En se prononçant pour un gouvernement économique de la zone euro, François Hollande ne propose pas autre chose qu’un renforcement de l’eurogroupe, qu’il veut doter d’un président à plein temps.

Aujourd’hui, la présidence de cet organe est assurée par le ministre des finances d’un des Etats membres, en l’occurrence le ministre néerlandais Jeroen Dijsselbloem, qui a succédé il y a quelques semaines au luxembourgeois Jean-Claude Juncker. A l’avenir, si la proposition de François Hollande était acceptée, le président de l’eurogroupe n’exercerait plus en même temps une fonction nationale.

Reste à savoir comment il serait choisi. Certains considèrent que le commissaire aux affaires économiques et financières serait le mieux placé pour occuper ce poste. José Manuel Barroso n’a pas craint d’affirmer en 2011 que « le gouvernement économique, c’est la Commission ». Dans cette logique, c’est à Olli Rehn qu’incomberait le pilotage de l’euro.

Tout au plus pourrait-on envisager que le commissaire, appelé à devenir le ministre des finances de la zone euro, relève à la fois de la Commission et du Conseil, comme c’est le cas de Catherine Ashton, la haute représentante pour la politique étrangère, qui cumule cette fonction avec celle de vice-présidente de la Commission.

Pour d’autres, qui veulent limiter les pouvoirs de la Commission, le président de l’eurogroupe devrait continuer à représenter les Etats, dont le pouvoir se trouverait ainsi affermi face à ces organes non élus que sont la Banque centrale européenne et la Commission elle-même. C’est la position de François Hollande, même s’il ne l’exprime pas publiquement. Le président de la République ne veut pas offrir de nouveaux arguments à ceux qui dénoncent le rôle accru de la Commission dans la surveillance des budgets nationaux et qui appellent les gouvernements élus à reprendre la main.

Les aménagements proposés par François Hollande sont, somme toute, modestes. Ils visent à donner à l’eurogroupe plus d’efficacité et de capacité d’action.Il est vrai que la gestion de la crise financière a mis à l’épreuve une institution qui a souffert des divisions entre ses membres et fait preuve, trop souvent, de lenteur dans la décision. La mise en place d’un eurogroupe plus fort, présidé par une personnalité respectée mais n’appartenant à aucun des gouvernements représentés, peut assurément faciliter les convergences et accélérer les procédures – même si les missions que lui assigne le président français sont loin d’être approuvées par l’ensemble des partenaires.

La volonté manifestée par François Hollande de renforcer l’intégration de la zone euro confirme l’évolution de l’UE vers une Europe à deux vitesses. Du même coup elle pose la question des relations entre les pays de l’euro et ceux qui y sont extérieurs. L’une des tâches du futur président de l’eurogroupe sera de veiller à la meilleure articulation possible entre les uns et les autres. Une autre de ses tâches sera d’associer le Parlement, sous une forme ou sous une autre, aux décisions prises. Car dès le moment où on parle de gouvernement économique, on doit aussi s’interroger sur les moyens de le soumettre au contrôle démocratique.

Le nouveau dispositif, s’il doit voir le jour, ne suffira pas à dissiper la méfiance dont l’Union européenne est l’objet dans les opinions publiques. Une fois de plus, l’abus de langage risque d’être source de déception. L’eurogroupe, même renforcé, ne ressemblera pas à un vrai gouvernement. Il n’en aura ni le nom ni les pouvoirs. L’Europe avance à petits pas, et nul ne croit qu’il peut en être autrement. C’est un de ces petits pas que peut permettre l’initiative de François Hollande, si du moins les partenaires de la France en sont d’accord.