Le président Obama devrait annoncer, dans les prochaines semaines, sa décision sur l’envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Il continue de peser les risques et les chances des diverses options qui lui sont proposées par ses conseillers. Le général McChrystal, le commandant en chef des forces de l’OTAN sur place, demande 40 000 hommes supplémentaires pour combattre les talibans et sécuriser le pays. A l’opposé, le vice-président Joe Biden se prononce pour une augmentation minimale du contingent américain et la concentration des efforts sur Kaboul et quelques chefs lieux provinciaux, tandis que la formation des forces de sécurité afghanes devrait être accélérée. Il n’est pas certain que Barack Obama choisisse entre ces deux solutions extrêmes. Il est plus vraisemblable qu’il prendra des éléments dans chacune des options sur la table.
La stratégie américaine telle qu’elle a été redéfinie par le général Stanley McChrystal et son équipe se résume en quelques mots : « Shape, clear, hold, build ». Inspirée de la contre insurrection de la période coloniale, et notamment française, cette approche est centrée sur la présence continue des forces militaires auprès de la population, sur l’expulsion de la guérilla des zones concernées et sur la mise en place d’ambitieux programmes de développement pour tarir le réservoir de recrues de l’insurrection.
Dans ce cadre, l’offensive américano-britannique de juillet 2009 dans la province de l’Helmand a mobilisé près de 20.000 hommes, soit un cinquième des forces totales de la coalition. Pourtant, après trois mois de combats sévères, le bilan est proprement désastreux. Les capacités tactiques des talibans ont été, comme souvent, sous-estimées. Contrairement à ce qu’ils avaient fait en 2008, ces derniers n’ont pas cherché à résister frontalement à l’attaque des Marines américains au sud, mais se sont repliés au nord, plus propice à la guérilla ou en direction de la frontière pakistanaise. Leurs pertes ont été limitées (probablement autour de 200 hommes) et ils harcèlent sans répit les postes de la coalition. La phase de « nettoyage » (clear) n’a pas fonctionné, l’insurrection est partout présente, même la sécurité du chef-lieu de province, Lashkargah, laisse beaucoup à désirer. Les postes de la coalition sont des isolats dans un milieu hostile, ce qui rappelle tristement la période soviétique.
Les officiels américains sont prompts à récuser la valeur heuristique de cette expérience en soulignant que l’opération, planifiée avant l’arrivée du général McChrystal aux commandes, était trop ambitieuse et ne disposait pas d’assez de ressources. Il semble au contraire que cet échec révèle quelques failles fondamentales dans cette approche.
Premièrement, les talibans ne sont pas des forces étrangères à une population afghane qui demanderait à être protégée. La situation dans la ceinture pashtoune (où l’essentiel de l’effort de la Coalition portera l’an prochain) est beaucoup plus complexe. La grande majorité des combattants sont locaux, ils ne sont pas des mercenaires (même s’ils peuvent ponctuellement être payés) et combattent très courageusement. La corruption du gouvernement de Kaboul et les fautes des forces étrangères ont permis à l’insurrection d’imposer à nouveau de façon convaincante le thème du djihad. L’ordre politique que les talibans instaurent quand ils ont le contrôle d’une population (juges appliquant la charia, quelques taxes, une police des mœurs beaucoup plus souple qu’avant 2001) ne suscite pas de rejet significatif dans les campagnes pashtounes.
Deuxièmement, la coalition n’est pas en mesure de réaliser la phase de « nettoyage », qui est décisive. En effet, il n’y a pas de forces de police efficaces pour contrôler la population. Le renseignement est notoirement peu fiable et il est en pratique impossible de savoir qui travaille pour les talibans dans un village, surtout quand la fouille des maisons est impossible et que les soldats ne parlent pas la langue locale. Comment « sécuriser » la population dans ces conditions, alors que le rejet des étrangers (armés) est une constante historique et que quiconque travaille avec la coalition se met personnellement en danger. De plus, la frontière pakistanaise est hors de contrôle. L’insurrection peut donc continuer à frapper à partir de ses bases pakistanaises. La perception générale est celle d’un échec de la coalition, et les Talibans ont prouvé qu’ils pouvaient résister à des offensives massives depuis 2006 et l’Helmand est en passe de devenir le Panshir des talibans. Le prestige du mollah Omar en sort incontestablement grandi.
Enfin, la stratégie de la Coalition suppose une présence continue et importante des troupes occidentales au contact de la population. La conséquence première en est une augmentation probable des pertes. Or, la montée en puissance des forces de sécurité afghane ne se fera pas avant plusieurs années. De ce point de vue, les projections actuellement publiées par l’administration américaine sont proprement irréalistes. Les effectifs réels de l’armée afghane sont autour de 60.000 hommes (90.000 officiellement), il est peu probable d’arriver à une armée de 250.000 hommes en trois ou quatre ans. La conséquence en est que les pertes occidentales resteront élevées dans un avenir prévisible, ce qui diminuera un peu plus le soutien déjà très limité dans les opinions publiques.
En conclusion, la campagne 2010 s’annonce mal. Les renforts qui seront (probablement) envoyés ne sont pas suffisants pour transformer de façon significative le rapport de force dans la ceinture pashtoune. Il n’est pas réaliste de vouloir reprendre des territoires ruraux tenus par les talibans ; le coût humain et financier est trop important. L’échec des Canadiens à reprendre en 2006 le contrôle du district de Panjway (à 30 km au sud-ouest de Kandahar) malgré une opération massive devrait servir d’avertissement. De plus, la focalisation des ressources dans le sud et l’est implique que les talibans peuvent progresser dans les provinces du nord où ils sont déjà bien implantés (Kunduz, Baghlan, Badghis, Herat, Ghor) et déstabiliser les régions voisines. L’année 2009 a été un tournant, la coalition a désormais quelques mois pour trouver la bonne approche avant que la généralisation de l’insurrection, ajoutée à la légitimité vacillante du régime de Kaboul, ne rende ses efforts dérisoires.
Malheureusement, la nécessaire réorientation de la stratégie vers la protection des centres urbains et l’envoi de moyens supplémentaires dans le Nord ne sont pas au centre des préoccupations des militaires américains, fascinés par un modèle de contre-insurrection inapplicable en Afghanistan.