Les élections israéliennes du 9 avril ont fait un grand vainqueur, le premier ministre sortant Benyamin Nétanyahou, qui s’apprête à exercer un cinquième mandat à la tête du gouvernement grâce au soutien des partis religieux et de l’extrême droite. Elles ont fait aussi un grand vaincu : non pas tant Benny Gantz et Yaïr Lapid, ses deux principaux adversaires, que le peuple palestinien, contraint, selon toute vraisemblance, de renoncer à l’espoir d’établir un Etat indépendant à côté de l’Etat israélien. Avec le concours actif de Donald Trump, le premier ministre israélien se prépare en effet à l’annexion des colonies de Cisjordanie, qu’il a annoncée pendant la campagne, à quelques jours du scrutin.
« Benyamin Nétanyahou brise un tabou pour séduire l’extrême droite », écrivait Le Monde lorsque le premier ministre a lancé cette initiative. Pour la première fois, Benyamin Nétanyahou affirmait son intention de soumettre les colonies – toutes les colonies - à la loi israélienne. « J’étendrai la souveraineté israélienne, mais je ne fais pas de distinction entre les blocs de colonies et celles qui sont isolées, déclarait-il alors. De mon point de vue, chaque colonie est israélienne ». En donnant satisfaction à l’aile droite de sa coalition, le premier ministre israélien a porté un coup fatal à l’idée d’un Etat palestinien indépendant : l’annexion d’une bonne partie de la Cisjordanie rendrait en effet impossible de faire de celle-ci, comme le souhaitent les Palestiniens, la base d’un futur Etat.
Une fuite en avant populiste et identitaire
Le Monde n’a pas tort de dénoncer dans cette décision une « fuite en avant populiste et identitaire ». Celle-ci s’explique en partie par des considérations personnelles. Benyamin Nétanyahou attend en effet des alliés de sa coalition qu’ils le protègent contre une action judiciaire pour corruption. Donnant donnant : il s’engage, en échange, à appliquer leur programme ,qui ne laisse aucune place aux revendications palestiniennes. Mais qu’elle obéisse à une tactique purement électorale – rallier la droite nationaliste religieuse – ou qu’elle relève aussi d’une conviction intime, l’annexion des colonies marquerait bien une « rupture historique », comme l’écrit Le Monde.
Si le premier ministre israélien, une fois réélu, fait ce qu’il a promis, une étape sera franchie dans le déni de la question palestinienne. Il est probable que le plan de paix américain, élaboré par Jared Kushner, le gendre et conseiller du président Trump, entérinera ce renoncement. Le vieux rêve de la droite israélienne - imposer la souveraineté d’Israël sur la plus grande partie des territoires occupés - pourra alors se réaliser. Dans le même temps, le vieux rêve palestinien d’un Etat indépendant perdra toute consistance. Il était déjà devenu évanescent, ces dernières années, sous les coups de boutoir de Benyamin Nétanyahou. Le voilà désormais mis au rang des illusions perdues.
Le cinquième mandat du premier ministre israélien va donc marquer un moment important dans l’histoire du conflit israélo-arabe. La solution du problème palestinien, qui avait déjà cessé depuis quelque temps d’être au cœur de l’agenda diplomatique au Moyen-Orient, ne sera plus demain une priorité dans les relations entre Israël et le reste du monde. Avec l’appui de Donald Trump, « le plus anti-palestinien des présidents américains », selon Alain Frachon, éditorialiste au Monde, Benyamin Nétanyahou a gagné. Non seulement il garde le pouvoir, même s’il reste menacé par la justice, mais surtout, premier ministre sans interruption depuis dix ans après l’avoir été une première fois de 1996 à 1999, il a réussi, à force de ruse et d’obstination, à banaliser la colonisation en Cisjordanie puis bientôt l’annexion.
Un autre visage de Donald Trump
Benyamin Nétanyahou n’est qu’un autre visage de Donald Trump, estime l’éditorialiste du New York Times Thomas L. Friedman. « Ils sont essentiellement la même personne et font peser la même menace sur leurs pays respectifs ». L’un et l’autre se sentent libres de franchir les « lignes rouges » que leurs prédécesseurs n’ont pas osé transgresser. Aucun d’eux ne cherche à représenter le peuple tout entier : ils ont choisi de gouverner par la division, non par l’union. Benyamin Nétanyahou a promis d’être « le premier ministre de tous les citoyens d’Israël », mais il n’en prend pas le chemin.
Donald Trump lui a déjà donné plusieurs gages en transférant l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, en reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le Golan, en fermant le consulat américain de Jérusalem-Est, en réduisant l’aide humanitaire aux Palestiniens. Son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a refusé, devant le Congrès, de dire publiquement si les Etats-Unis étaient encore favorables à la solution à deux Etats et s’ils étaient opposés à l’annexion de la Cisjordanie. Incapables de résister à une évolution qui les marginalise, les Palestiniens apparaissent comme les principales victimes de la politique conduite de concert par Donald Trump et Benyamin Nétanyahou.