Les incertitudes du nouveau traité

Selon le politologue Christian Lequesne, l’accord de Bruxelles laisse subsister de nombreuses incertitudes. Il témoigne du « leadership » de l’Allemagne mais confirme aussi les divergences persistantes entre Paris et Berlin. Cet entretien peut aussi être écouté sur www.frequenceprotestante.com. Cliquez sur Programmes puis sur Parcours européen, samedi 17 décembre, 16 h 15.

Directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, spécialiste des affaires européennes, Christian Lequesne note, dans un entretien à Fréquence protestante, diffusé samedi 17 décembre, que le « compromis laborieux » adopté le 9 décembre à Bruxelles par vingt-six des vingt-sept Etats membres, ne dissipe pas les inquiétudes que suscite l’avenir de l’Europe

D’abord parce que tout n’est pas réglé. Si un accord de principe a été conclu, il reste encore à en préciser le contenu, alors même qu’en raison de refus de la Grande-Bretagne de s’y associer, il se situe « en dehors des institutions communautaires » et que le rôle que celles-ci seront appelées à jouer demeure incertain. Il faudra ensuite le ratifier, ce qui n’ira pas de soi, notamment dans les pays qui, comme l’Irlande, sont tenus de recourir à la procédure du référendum.

L’isolement de la Grande-Bretagne

Le deuxième motif d’inquiétude concerne l’isolement de la Grande-Bretagne, qui, selon Christian Lequesne, « pose la question de son avenir dans l’Union ». L’impression donnée par les Britanniques qu’ils sont prêts à quitter l’UE et le poids des eurosceptiques au sein du Parti conservateur sont pour lui « des signaux très préoccupants », que ne contrebalance pas la présence des libéraux-démocrates, très europhiles, au gouvernement. « Si j’étais Britannique, ajoute Christian Lequesne, je serais très inquiet. Quelle est l’alternative s’ils ne restent pas dans l’Europe ? ».

Troisième inquiétude : si l’Allemagne « a donné le ton » et exerce sur l’Europe un « leadership de fait », lié à la force de son économie, les divergences franco-allemandes n’ont pas été levées. Elles portent en particulier sur la nature de l’Union européenne. Nicolas Sarkozy continue de défendre un modèle très intergouvernemental, alors qu’Angela Merkel met en avant le rôle de la Commission et de la Cour européenne de justice. Les préoccupations électoralistes expliquent en partie ces prises de position mais ne suffisent pas à rendre compte des différences entre les deux pays.

Quel rôle pour les institutions communautaires ?

Ainsi la France a-t-elle dû accepter que les éventuelles sanctions contre les Etats en infraction soient mises en oeuvre par la Commission, comme le demandait l’Allemagne. En revanche, dans son entretien au Monde au lendemain de l’accord, Nicolas Sarkozy a insisté sur le fait que « la responsabilité de la gouvernance » revient aux chefs d’Etat et de gouvernement. Paradoxalement, souligne Christian Lequesne, la France a toujours soutenu les avancées de la construction européenne mais, dans le même temps, elle n’a cessé de défendre la méthode intergouvernementale au nom du respect de la souveraineté des Etats.

Une autre « spécificité française » est l’hostilité persistante d’une partie de l’opinion publique au libéralisme et à l’économie de marché. Ainsi la gauche a-t-elle condamné un traité « punitif ». Christian Lequesne considère que le mot n’est pas « approprié ». Le futur traité, rappelle-t-il, propose de soumettre les économies à « une série de règles et de contraintes ». Faut-il continuer de mener des politiques keynésiennes qui laissent filer les finances publiques, au risque de conduire à des résultats catastrophiques, ou les contrôler pour recréer, à terme, de la croissance après une période d’austérité ?

« Remettre de l’ordre dans les finances publiques est une façon de pouvoir ensuite passer à une phase plus positive de croissance », affirme Christian Lequesne. A Bruxelles les Européens ont confirmé le choix de cette option, qui est « l’option allemande », celle d’un « capitalisme réglé ». La gauche française se divise sur cette politique. Une partie d’entre elle va même jusqu’à s’en prendre à l’Allemagne en des termes que Christian Lequesne juge « indécents ». L’approche des élections est sans doute l’une des causes de ces « dérives verbales ». Mais on voit mal comment la France pourrait échapper à une cure de rigueur. « Je doute fort, dit-il, que François Hollande, s’il devient président de la République, ne puisse faire autrement ».

Combler le déficit démocratique

Les Français reprochent aussi à l’Union européenne son « déficit démocratique ». Christian Lequesne n’est pas favorable à l’élection du président de la Commission au suffrage universel, comme certains le proposent pour accroître sa légitimité démocratique. Il ne croit pas, dit-il, à « une compétition politique européenne », rendue difficile par le multilinguisme. « C’est dans le cadre national qu’on réglera ces questions », estime-t-il, c’est-à-dire en organisant des débats sur l’Europe dans les Etats membres et en invitant les Parlements nationaux à se saisir des politiques européennes.