La Wehrkunde, une véritable institution créée par l’éditeur bavarois Ewald von Kleist, avait à l’origine pour but de rapprocher les spécialistes allemands des questions de défense et de sécurité de leurs nouveaux alliés européens et surtout américains. Elle a évolué au fil des années de la guerre froide et de l’après-guerre froide. Des représentants soviétiques ont commencé à la fréquenter ; l’éventail des thèmes traités s’est élargi ; les Asiatiques ont fait leur apparition ; les Russes sont venus discuter avec leurs partenaires occidentaux. En 2007, Vladimir Poutine avait fait sensation en agitant la menace d’une nouvelle guerre froide.
Cette année, le personnage central de la 45è conférence sur la sécurité était absent de Munich. Mais l’esprit de Barack Obama a flotté pendant trois jours sur le millier de participants (et autant de journalistes) qui étaient là pour en apprendre un peu plus sur la nouvelle politique étrangère américaine.
Le discours du vice-président Joseph Biden, s’il n’a pas apporté de véritable révélation, a bien montré comment le nouveau chef de la Maison Blanche comprenait les relations avec ses alliés européens et le reste du monde. « L’Amérique fera plus. C’est la bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que l’Amérique demandera plus », a dit Joe Biden. Il a énoncé les décisions déjà prises en deux semaines de pouvoir, qui vont dans le sens de ce qu’attendaient les Européens : fermeture de Guantanamo, renonciation à la torture, soutien à la lutte contre le réchauffement climatique, retrait d’Irak… En contrepartie, les Etats-Unis attendent un engagement plus fort de leurs alliés, en Afghanistan, au Moyen-Orient, etc. Ils veulent donner un nouveau ton à leurs relations avec le reste du monde.
Russie
Avec la Russie, « il est temps d’appuyer sur le bouton « reset », a déclaré le vice-président, reprenant une formule de Barack Obama. Malgré les divergences avec Moscou, les champs de coopération sont nombreux, l’Afghanistan, qui revient comme un leitmotiv dans les préoccupations de la nouvelle administration, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, la réduction des armements. Mais Joe Biden a tracé trois lignes rouges : Washington ne reconnaîtra pas l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud imposée par le Kremlin après la guerre avec la Géorgie, il ne reconnaîtra pas l’aspiration à créer de nouvelles zones d’influence et il continuera à affirmer le droit à toutes les démocraties de choisir librement leurs alliances.
Le vice-président a laissé entendre que les Etats-Unis étaient prêts à reconsidérer l’installation d’un système de défense antimissile en Europe, pomme de discorde avec les Russes, « en fonction de son coût et de son efficacité ». Le vice-premier ministre Sergueï Ivanov a aussitôt saisi la perche qui lui était tendu et s’est félicité de cette nouvelle tonalité.
Insistant sur la parfaite compatibilité de la sécurité des Etats-Unis (et du monde) et de la défense des idéaux américains, Joe Biden a répété les principes fondamentaux de la politique étrangère américaine. S’il ne parle pas comme George W. Bush de promotion de la démocratie, il veut développer « l’aspiration à la démocratie » au lieu de l’imposer de l’extérieur. Les Etats-Unis veulent affirmer leur leadership, non par la force mais par « la force de l’exemple ». Et le vice-président d’annoncer que les Américains agiraient avec leurs alliés, qu’ils veulent consulter, entendre, écouter, chaque fois que ce sera possible, mais seuls chaque fois que ce sera nécessaire. Un principe qui était déjà le mot d’ordre de l’administration Clinton.
Afghanistan
Les participants américains à la conférence de Munich étaient particulièrement attendus au sujet de l’Afghanistan. Les Européens, pour la plupart réticents à augmenter leurs contingents présents dans ce pays, se demandaient si Washington exigerait un effort supplémentaire. La réponse est ambigüe. Barack Obama a annoncé un renforcement des troupes américaines présentes sur le terrain. Jusqu’à 30 000 hommes supplémentaires pourraient être envoyés au cours des prochains mois. D’autre part, la nouvelle administration insiste sur le partage des responsabilités entre alliés dans une guerre qui n’est pas une guerre américaine mais où la sécurité de tous est en jeu.
Il semble que la nouvelle administration ne veuille pas courir le risque d’une rebuffade, notamment de la part de la France et de l’Allemagne. C’est pourquoi elle pourrait renoncer à demander des troupes combattantes supplémentaires à ses alliés de l’OTAN. Le général James Jones, nouveau chef du Conseil national de sécurité, a certes espéré « plus d’engagement des partenaires » mais cela ne veut pas dire nécessairement plus de troupes, a-t-il ajouté. L’effort supplémentaire pourrait porter sur le soutien à la « reconstruction civile », à la formation de la police et de l’armée afghanes, etc. Il a d’autre part annoncé un réexamen général de la stratégie dans les soixante jours. Révision qui portera autant sur la stratégie – bien qu’à Munich, plusieurs responsables aient affirmé que la stratégie était juste mais simplement mal appliquée – que sur les buts de guerre. « Nous sommes intéressés à écouter vos conseils », a déclaré le vice-président Biden, qui s’est donné pour un objectif un Afghanistan « stable ». Pas moins mais pas plus.
Contrairement au président Hamid Karzaï, qui a peint un tableau plutôt optimiste de la situation dans son pays, le général David Petraeus, nommé responsable des opérations en Irak et en Afghanistan, et Richard Holbrooke, envoyé spécial de Barack Obama dans la région, n’ont pas mâché leurs mots.
Richard Holbrooke a proposé une nouvelle expression : la question « AFPAK », pour signifier que les problèmes de l’Afghanistan et du Pakistan étaient étroitement liés. « C’est un seul et même théâtre d’opérations », a-t-il dit, sans aller jusqu’à déclarer que l’ISAF (la force internationale de stabilisation) pourrait être amenée à intervenir au Pakistan. Mais il a affirmé qu’il était impossible de faire la distinction entre les deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise. Il a annoncé que les Pakistanais allaient créer un groupe de travail qui fonctionnera en parallèle avec celui des alliés chargé de revoir la stratégie globale.
Il a insisté sur la nécessité d’avoir un seul coordonnateur des activités des diverses organisations internationales présentes en Afghanistan. « Après le fiasco Paddy Ashdown », a-t-il dit, il va reparler du sujet avec le gouvernement de Kaboul. Le Britannique Paddy Ashdown, ancien représentant de l’Union européenne en Bosnie où il était considéré comme un véritable pro-consul, avait été sollicité pour jouer un rôle similaire en Afghanistan. Sa nomination avait été refusée par le président Karzaï.
Le général Petraeus a également insisté sur le besoin de coordination entre les opérations militaires, la formation des forces de sécurité afghanes, la reconstruction économique. Il a demandé un « surge » (un effort supplémentaire) dans les capacités civiles et souligné que la question n’était pas seulement d’avoir des forces supplémentaires mais de savoir comment elles seraient utilisées. La « densité » et la permanence de la présence internationale – « it’s not a commuting work », a-t-il dit —, dans les zones « libérées » de la présence des talibans sont des éléments essentiels de la réussite, comme le respect des cultures et traditions locales, la proximité avec les chefs traditionnels, l’attention portée aux insurgés qui sont récupérables en même temps que l’intransigeance vis-à-vis de ceux qui poursuivent leurs actions terroristes. La solution n’est pas seulement militaire, a-t-il conclu, mais les opérations militaires sont indispensables.
Iran
Le président du parlement iranien Ali Laridjani a rejeté l’offre de dialogue faite par les Américains. La tactique de la carotte et du bâton, a-t-il dit, est bonne pour les animaux. Les Iraniens, eux, veulent jouer aux échecs. Ali Laridjani s’est lancé dans une violente diatribe contre Israël, ajoutant qu’il ne comprenait pas la « sensibilité » des Occidentaux par rapport à la Shoah. A quelques semaines des élections présidentielles en Iran, il était peu probable qu’un responsable iranien tienne un discours très différent. Cela ne veut pas dire que les Iraniens soient totalement imperméables au nouveau ton venu de Washington. Dans son discours de Munich, le vice-président Joe Biden a fait l’éloge du peuple iranien et l’administration Obama semble disposée à donner des garanties à Téhéran. Elle ne veut pas pousser à un changement de régime en Iran mais à un changement de comportement des dirigeants iraniens et elle est prête à reconnaitre le rôle de l’Iran dans la région. Mais elle a aussi souligné qu’il n’était pas question de laisser les Iraniens posséder une arme nucléaire. Il n’ya pas de meilleure offre que celle faite aujourd’hui par les Etats-Unis, a déclaré en substance le ministre britannique des affaires étrangères, David Miliband.