Les ouvertures du président Rohani

Un dialogue s’amorce entre Washington et Téhéran, à l’initiative du nouveau président iranien. L’Iran veut retrouver sa place de puissance régionale au Moyen-Orient. La question nucléaire demeure au centre des discussions. 

Il y a quarante ans, la visite du président Nixon en Chine, du 21 au 28 février 1972, marquait un tournant historique en ouvrant le dialogue, après de nombreuses années d’ignorance mutuelle, entre Pékin et Washington. Saluant l’événement, Nixon parlait de « la semaine qui a changé le monde ». Dira-t-on de la dernière semaine de septembre 2013, marquée par un coup de téléphone largement médiatisé entre le président Obama et son homologue iranien, Hassan Rohani, qu’elle a changé le monde ? Peut-être pas, ou du moins il est trop tôt pour l’affirmer.

Mais l’échange entre les deux dirigeants a mis fin, comme l’a noté un journal iranien, à un tabou qui rendait impossible un dégel des relations entre les deux pays. Les ponts étaient coupés depuis la chute du shah et l’instauration de la République islamique en 1979. L’occupation de l’ambassade américain à Téhéran et la prise en otage de ses personnels pendant près de quinze mois avaient provoqué la rupture des relations diplomatiques entre l’Etat que l’Iran qualifiait de « grand Satan » et celui que les Etats-Unis considéraient comme un « Etat-voyou ».

Il est vrai que le guide suprême, Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, a critiqué, à mots couverts, l’attitude d’Hassan Rohani en jugeant « inappropriées », au lendemain du voyage présidentiel, « certaines choses qui se sont passées à New York ». Chacun a compris qu’il visait le fameux coup de téléphone entre les deux présidents. Mais chacun a compris aussi que cette réserve avait pour but d’apaiser la frange la plus conservatrice du pouvoir iranien, hostile à l’initiative diplomatique de Téhéran. Sur le fond, le guide suprême, loin de désavouer l’ouverture conduite par Hassan Rohani, l’a publiquement approuvée.

Au demeurant, il est difficile d’imaginer que le président iranien aurait pu agir comme il l’a fait sans l’aval d’Ali Khamenei. Comme le souligne Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’Iran, Hassan Rohani, comme les cinq autres candidats à la présidence retenus par le Conseil des gardiens de la Constitution, bénéficie de la confiance du guide. Celui-ci entend, après des années de dispute à la tête de l’Etat, créer un consensus qui doit permettre l’Iran de sortir de l’impasse, à la fois économique et diplomatique, dans laquelle elle se trouve depuis 1979. Aujourd’hui, selon Bernard Hourcade, le mot d’ordre n’est plus : « la confrontation est révolutionnaire » mais « la modération est révolutionnaire ».

L’ouverture iranienne est suivie avec attention aux Etats-Unis. De part et d’autre s’exprime, pour la première fois depuis trente-quatre ans, la volonté d’établir entre les deux pays des relations plus apaisées. Pour Barack Obama, l’intérêt est à la fois économique (favoriser l’ouverture du marché iranien aux industriels américains) et stratégique (diminuer les tensions qui agitent la région, en particulier en Syrie et en Irak, deux alliés de l’Iran). Pour les dirigeants iraniens, qui ont choisi en Hassan Rohani un réformateur modéré, l’objectif est d’abord d’obtenir la levée des lourdes sanctions qui affaiblissent le pays ; il est ensuite de rendre à l’Iran sa place de puissance régionale, aux côtés de l’Arabie saoudite, sa principale rivale, qui l’a évincé de la scène diplomatique.

Un rapprochement peut donc s’amorcer. Le résultat est loin d’être acquis. Le principal obstacle demeure la question du nucléaire iranien, qui fait depuis de longues années l’objet d’interminables négociations. A Washington comme à Téhéran, on se montre prudent, ne serait-ce que pour ne pas heurter de front les conservateurs des deux camps. Mais un élan est donné, qui ouvre des perspectives encourageantes.

Cet article est la version longue d’une chronique publiée, sous le titre « Tournant iranien », dans l’hebdomadaire Réforme du 10 octobre.