Les trois défis du Pakistan

Chaque mardi, l’éditorial donne le point de vue de l’équipe de Boulevard-Extérieur sur un sujet d’actualité.

Au lendemain d’élections législatives qui ont permis la première alternance « pacifique » entre deux gouvernements élus, le Pakistan reste confrontés à trois défis, à la fois internes et externes, étroitement imbriqués : les talibans, l’armée et l’Inde. Les talibans sont en état d’insurrection dans les zones tribales proches de l’Afghanistan. Certains sont « endogènes », d’autres viennent de l’autre côté de la frontière. Au cours de ces dernières années, les Etats-Unis les ont frappés, le plus souvent à l’aide de drones, ces appareils volants sans équipage, qui permettent une guerre à « mort zéro », du moins du côté de la plus grande puissance. L’armée pakistanaise les combat aussi, avec une ardeur à géométrie variable. Les talibans opèrent en effet en Afghanistan depuis les zones tribales, affaiblissant la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, par ailleurs alliés et bailleurs de fonds du Pakistan, et portant des coups au régime du président Hamid Karzaï, dont les relations avec Islamabad ne sont pas au beau fixe. Les talibans avaient menacé de perturber le scrutin de dimanche. S’ils ont commis des attentats qui ont fait vingt-six morts, ils ne sont pas parvenus à dissuader les électeurs. Nawaz Sharif, qui a déjà été Premier ministre jusqu’au coup d’Etat militaire de Pervez Musharraf en 1999, est arrivé en tête des législatives avec son parti, la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz. C’est un partisan d’un islam traditionnel et il prône le dialogue avec les talibans. Réussira-t-il ? C’est le premier défi auquel il sera confronté. Le deuxième, qui est lié, concerne ses relations avec l’armée. Celle-ci est hostile aux fondamentalistes musulmans mais elle ne répugne pas à utiliser les talibans pour ses objectifs géostratégiques. L’un d’eux est de ne pas laisser échapper le contrôle de l’Afghanistan voisin. Or depuis la création du Pakistan en 1947, dans la partie musulmane de l’empire des Indes britannique, l’armée contrôle, directement ou indirectement, le pouvoir politique. C’est elle aussi qui gère l’arsenal nucléaire du pays. L’enjeu des prochains mois est de savoir dans quelle mesure Nawaz Sharif, s’il parvient à former une coalition, sera capable de limiter les prétentions des militaires. Le chef de l’armée, le général Ashfaq Parvez Kayani, a laissé le scrutin démocratique avoir lieu normalement (même s’il y a quelques accusations de fraudes). Il doit prendre bientôt sa retraite et il reviendra à son successeur de poursuivre dans la voie d’une « normalisation ». Normalisation : le mot vaut aussi pour le troisième défi qui attend Nawaz Sharif, les relations avec l’Inde. Les deux puissances nucléaires du sous-continent indien ont été à plusieurs reprises au bord d’un conflit généralisé. Seule la possession de l’arme atomique des deux côtés a sans doute empêché la montée aux extrêmes. Le vainqueur des élections s’est prononcé pour l’établissement de bons rapports avec New Dehli. Dès dimanche soir, il a téléphoné à son collègue indien, Manmohan Singh et les deux ont échangé des invitations. Un geste diplomatique qui peut sembler dérisoire, mais qui changerait l’atmosphère dans une région où les tensions sont légion s’il était suivi d’effet. Sur ce terrain aussi, le nouveau Premier ministre sera sous la surveillance de l’armée.