Les trois leçons d’un sommet

Le Conseil européen a consacré la victoire d’Angela Merkel, la bonne forme du couple franco-allemand et le rôle croissant d’Herman Van Rompuy.

Un pas important vient d’être accompli par les Etats européens, les 28 et 29 octobre à Bruxelles, pour renforcer leur solidarité financière en cas de crise. Les Vingt-Sept se sont en effet mis d’accord, au terme de discussions tendues, pour créer un mécanisme permanent de sauvetage qui remplacera le fonds de stabilisation mis en place en 2010 et appelé à disparaître en 2013. Si l’intention est bonne, la réalisation s’annonce difficile. Elle passe par la révision du traité de Lisbonne, alors même que celui-ci est entré en vigueur il y a moins d’un an après de longues et laborieuses négociations.

Les dirigeants européens avaient pourtant décidé de clore le chapitre des réformes institutionnelles, source de profondes divisions, pour se consacrer à la mise en oeuvre des politiques européennes. Sous la pression de l’Allemagne et, à un degré moindre, de la France, ils ont choisi d’amender le traité pour assurer la stabilité de l’euro et éviter le retour d’une crise analogue à celle qu’avait provoquée la débâcle grecque.

Ils se sont engagés à ne pas aller au-delà de la modification annoncée, rendue nécessaire par les exigences de la Cour constitutionnelle allemande, mais ils n’ont pas craint, en prenant cette initiative, de rouvrir la « boîte de Pandore », selon l’expression du ministre hongrois des affaires européennes, Eniko Gyori, au risque d’embarrasser ceux d’entre eux qui devront se battre pour convaincre leurs opinions publiques.

 La volonté d’Angela Merkel

Il a fallu toute l’insistance d’Angela Merkel pour que cette proposition soit adoptée, en dépit des fortes réserves de la Commission et de nombreux Etats membres. C’est la première leçon de ce sommet : l’Allemagne est aujourd’hui la maîtresse du jeu européen. Appuyée sur sa puissance économique, sa croissance retrouvée (3,4 % en 2010), son important excédent commercial, elle défend avec fermeté ses intérêts nationaux, qu’elle n’entend pas sacrifier en payant systématiquement pour les autres.

La chancelière est résolue à imposer en Europe la rigueur qu’elle applique à son propre pays. Elle ne veut pas que l’histoire se répète et qu’une nouvelle crise vienne ébranler la zone euro. Elle a donc maintenu, face à ses partenaires, sa demande de révision du traité, même si elle a dû reculer sur son projet de suspendre les droits de vote des Etats qui violeraient gravement le pacte de stabilité. Elle n’a pas hésité à forcer la main du président de la Commission, José Manuel Barroso, ouvertement sceptique, et de tous ceux qu’inquiète la perspective d’un nouveau vote sur les institutions européennes.

Le retour du couple franco-allemand

Mme Merkel a bénéficié, en premier lieu, du soutien de Nicolas Sarkozy. C’est la deuxième leçon du sommet : le couple franco-allemand, en dépit de ses querelles et de ses incompréhensions, reste le moteur de l’Union européenne. L’accord franco-allemand a été conclu, une semaine avant la réunion de Bruxelles, en marge du sommet de Deauville qui réunissait Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Dmitri Medvedev. Paris et Berlin ont signé un engagement commun sur la gouvernance économique de la zone euro.

La démarche a irrité tous ceux qui redoutent un « directoire » des deux grands pays fondateurs sur l’Union européenne. C’est Viviane Reding, vice-présidente de la Commission, déjà en froid avec Paris sur la question des Roms, qui a exprimé le plus bruyamment leur mécontentement en dénonçant un « diktat franco-allemand », en reprochant aux deux pays d’avoir « sabordé » naguère le pacte de stabilité et en affirmant que « les décisions ne se prennent pas à Deauville ».

Le tandem franco-allemand a tenu bon, même si Mme Merkel a dû faire face aux critiques de membres de sa majorité, qui l’ont accusée d’avoir fait trop de concessions à M. Sarkozy sur les conditions d’application des sanctions en échange de son soutien à la révision du traité. Paris et Berlin ont fait cause commune et convaincu leurs partenaires.

Le rôle-clé d’Herman Van Rompuy

Il appartient désormais au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, de finaliser le projet. C’est la troisième leçon du sommet : premier président permanent du Conseil européen, l’ancien premier ministre belge est appelé à jouer un rôle-clé de conciliateur. Peu connu hors de Belgique lors de sa nomination, il s’est imposé en quelques mois comme un habile négociateur dont la tranquille détermination permet de faire avancer les dossiers sensibles.

S’il n’est pas la figure charismatique que beaucoup espéraient, M. Van Rompuy donne peu à peu à sa fonction une certaine consistance, s’attirant le respect de ses interlocuteurs. Son rapport sur la gouvernance économique a servi de base aux travaux du Conseil européen. A lui de déminer le terrain pour mener à bien la révision du traité. Ce sera un nouveau test de son savoir-faire et de son efficacité.