Les trois points faibles du ’’poutinisme’’

L’ancien député à la Douma russe, Vladimir Ryjkov, a présenté, le jeudi 8 octobre à Paris, son analyse du régime de Vladimir Poutine, à l’invitation de l’Observatoire de la Russie, dirigé par Marie Mendras du CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales/Sciences Po). Il a expliqué comment ce système « d’autoritarisme bureaucratique » est suffisamment stable pour durer, mais aussi comment l’opposition démocratique et libérale pourrait lentement réussir à coaliser les mécontentements épars. 

Vladimir Ryjkov a été élu dès 1993 député de sa région natale de l’Altaï en Sibérie. Il n’avait alors que 31 ans. Réélu trois fois, il n’a pas été autorisé à se présenter aux dernières élections législatives de 2008, sa formation, le Parti républicain, n’ayant pas été homologuée par les autorités.

Historien de formation, il continue de porter un regard critique sur l’évolution du régime dans ses articles des journaux Moscow Times ou Novaïa Gazetta et dans son émission à la radio Echo de Moscou. Il considère que la Russie n’est plus un pays « en transition » mais que pour la première fois depuis la disparition de l’URSS, un système s’est établi, stable mais non-démocratique, dans lequel tout procède de l’exécutif. Le reste n’est qu’imitation, comme le souligne aussi la politologue Lylia Chevtsova : imitation du parlementarisme, de la liberté de la presse, des élections libres, de l’indépendance de la justice, etc.

Concentration du pouvoir, rétrécissement de l’économie

Alors que du temps de Boris Eltsine, il y a eu jusqu’à quarante-cinq partis politiques, il n’en reste que sept, tous plus ou moins contrôlés par le Kremlin. Le pouvoir est de plus en plus personnel autour de Vladimir Poutine, qui s’est entouré de ses amis de Saint-Pétersbourg. Vladimir Ryjkov remarque qu’au cours des derniers huit ans depuis l’élection de Poutine à la présidence en 2000, la bureaucratie fédérale a été multipliée par deux. Les deux autres piliers du régime sont les siloviki, les représentants des organes de force, armée, police, FSB (le successeur du KGB), et les oligarques, qu’ils viennent du secteur privé ou des entreprises d’Etat.

Ces entreprises d’Etat sont d’ailleurs de plus en plus puissantes. Le secteur public contribue pour moitié au produit intérieur brut (PIB) et emploie 40% des salariés russes. L’économie est essentiellement fondée sur l’exploitation et l’exportation des ressources naturelles, d’abord énergétiques. Celles-ci représentaient 48 % des exportations à la fin de l’URSS, 62% il y a dix ans et 74% aujourd’hui, tandis que les produits finis comptent pour 65% des importations russes. 70% des recettes publiques proviennent du pétrole et du gaz.

Vingt quatre grandes compagnies contrôlent 40% du PIB mais cette tendance à la monopolisation de l’économie ne se limite pas à quelques oligarques. Elle touche aussi les échelons régionaux et locaux où des milliers de petits monopoles dictent leur loi.

Les disparités sociales s’aggravent entre les plus riches et les plus pauvres. 30 millions de Russes vivent au-dessous du seuil de pauvreté alors que le salaire mensuel moyen est de 330 € et la retraite moyenne inférieure à 200 €.

Un "contrat social" particulier 

Mais cette situation n’entraîne pas de grandes protestations sociales et n’entame pas la popularité du régime. Vladimir Ryjkov y voit trois raisons. D’abord la comparaison avec les années 1990, au lendemain de la chute du communisme et de la disparition de l’URSS : la situation actuelle est mauvaise mais elle était pire alors. Ensuite, la modestie des attentes de la population : les Russes se contentent de peu et n’attendent pas beaucoup du pouvoir (ni d’eux-mêmes, ajoute Rychkov). Enfin, le paternalisme d’Etat : les autorités distribuent de temps en temps des bribes des bénéfices tirés des exportations énergétiques, pour calmer le mécontentement latent. Le « contrat social » semble solide : le pouvoir assure un niveau de vie bas mais stable et en contrepartie, les citoyens ne se mêlent pas de politique.

Le système poutinien est également caractérisé, selon Vladimir Ryjkov, par une nouvelle idéologie, qui peut se résumer par le « retour à l’URSS », l’Union soviétique étant considérée comme un modèle pour la Russie moderne. Cette idéologie est constituée de trois éléments : l’exaltation de la Russie comme grande puissance, ce qui explique la référence de plus en plus fréquente à Staline ; l’insistance sur la nécessité d’une pouvoir fort (encore Staline) et le rôle de l’Etat comme gestionnaire de la société. Cette idéologie, dit Vladimir Ryjkov, exclut la démocratie, la participation des citoyens, la transparence du pouvoir, le respect de la loi, le pluralisme et la compétition entre les dirigeants. Mais c’est une idéologie populaire.

Les racines du poutinisme

Pour l’ancien député libéral, quatre raisons expliquent la formation de ce système :

- l’échec des réformes dans les années 1990 qui a jeté, chez la grande majorité des Russes, le discrédit sur l’idée de démocratie, de libéralisme, d’économie de marché ;

- la concentration de la richesse dans quelques mains sous la présidence Eltsine

- la sous-estimation de l’importance des institutions et de leur respect par les réformistes eux-mêmes, qui avaient tendance à s’en remettre à la sagesse de l’homme providentiel, en l’occurrence Boris Eltsine ;

- le choix de Poutine comme successeur de Eltsine, qui a précipité la confiscation du pouvoir par les siloviki. 80% des élites dirigeants dirigeantes actuelles sont issues de l’armée, de la police ou du KGB.

Et trois raisons expliquent sa stabilité :

- le consensus parmi les couches dirigeantes qui ne cessent de s’enrichir, mais aussi dans la population, pour les raisons mentionnées précédemment ;

- la disposition de vastes ressources naturelles qui donnent au pouvoir les moyens de poursuivre sa politique paternaliste ;

- la volonté politique de Poutine, qui semble décidé à se maintenir au pouvoir, à quelque poste que ce soit, président ou chef du gouvernement, pour des années encore. Récemment, à la Douma, il a rappelé que, dans l’histoire russe, deux dirigeants avaient démissionné et que chaque fois, cette démission avait provoqué la disparition de l’Etat : Nicolas II en 1917 et Gorbatchev en 1991.

 

Les trois points faibles du régime

Y a-t-il pour autant des possibilités de changement ? Vladimir Ryjkov distingue trois points faibles du régime. La politique de Poutine est incapable de moderniser la Russie. Ces dernières années ont été caractérisées par une « croissance sans développement » : la démographie est en chute libre, la corruption explose, l’économie reste primitive comme en témoignent les statistiques du commerce extérieur. A terme, une partie de la société russe risque d’être frustrée par cette situation.

Ensuite, la Russie n’est pas monolithique. C’est dans les grandes villes, Moscou, Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod, que le régime est le moins populaire et que le parti du pouvoir, Russie unie, fait ses plus mauvais scores. 20% des habitants des grandes villes déclarent se reconnaître dans la démocratie libérale. Les institutions locales pourraient être, elles aussi, intéressées au changement, car Poutine a mis fin à leur autonomie pour les placer sous la coupe du pouvoir central. Il existe encore, d’autre part, quelques forces indépendantes, les ONG, des syndicats indépendants, etc. qui forment l’embryon d’une société civile.

Enfin, la Russie est dans une dépendance totale du marché internationale par ses exportations de ressources naturelles. Elle a amassé des réserves monétaires qui lui permettent de vivre pendant trois ans encore, mais que se passera-t-il si le prix du pétrole reste bas et si les réserves énergétiques s’épuisent ?

Tenant compte de ces trois points faibles, Vladimir Ryjkov esquisse une stratégie pour l’opposition. Etre active dans les villes, dans les régions, auprès des organisations indépendantes ; dépasser le traumatisme des erreurs du passé et avoir l’imagination suffisante pour trouver un message qui parle à la société.