Devenue depuis la chute de Kadhafi en 2011 la plaque tournante de trafics en tous genres entre l’Afrique et l’Europe, la Libye inquiète la communauté internationale. Le chaos provoqué par l’effondrement des institutions centrales nourrit à la fois les flux migratoires et les menées terroristes, deux des principales causes de préoccupation des grandes puissances. Le pays est aux mains de groupes armés – forces djihadistes ou milices tribales – qui provoquent son instabilité et empêchent la reconstitution d’un Etat digne de ce nom. Deux autorités rivales tentent d’imposer leur ordre, l’une à l’Ouest, à Tripoli, autour du gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, l’autre à l’Est, à Benghazi, autour de l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar. Le retour au calme passe par un accord de réconciliation entre ces deux personnalités.
Plusieurs tentatives d’union ont échoué par le passé, dont celle de mai 2018, à Paris, saluée alors comme « historique » par Emmanuel Macron, puis celle de novembre à Palerme, à l’initiative de l’Italie. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? En tout cas, un nouvel espoir se lève après l’accord conclu à Abou Dhabi, le 27 février, qui devrait aboutir, si tout se passe bien, à l’organisation d’élections générales. Cette issue, si elle se confirme, couronnerait les efforts des Nations unies et de son émissaire, Ghassan Salamé, qui s’emploie activement depuis près de deux ans à rapprocher les deux camps. Elle récompenserait également la volonté du nouveau président de l’Union africaine, l’Egyptien Abdel Fattah al-Sissi, d’apporter « des solutions africaines » aux problèmes africains, tout en consacrant le rôle des Emirats dans la recherche d’une solution.
Le principe d’une conférence nationale suivie d’une consultation électorale a été accepté par les deux camps, même si le calendrier n’a pas été précisé. « Les deux parties se sont entendues sur la nécessité de mettre fin à la période de transition à travers des élections générales mais aussi sur les moyens de préserver la stabilité de la Libye et d’unifier ses institutions », a déclaré la Manul (Mission d’appui des Nations unies en Libye). Pour Ghassan Salamé la conclusion d’un tel accord peut être « un moment historique pour la Libye si les différentes parties libyennes conviennent de rétablir l’autorité de l’Etat ».
La percée du maréchal Haftar
Cet accord survient au moment où le maréchal Haftar, à la tête de l’Armée nationale libyenne, à l’Est du pays, vient de renforcer ses positions. L’homme fort de Benghazi a progressé fortement vers le Sud-Ouest, d’où il pourrait ensuite conduire l’assaut sur Tripoli. Plutôt que de pousser son avantage militaire, il a probablement intérêt à négocier aujourd’hui, en position de force, avec son principal rival, Fayez al-Sarraj, dont le gouvernement est le seul reconnu par la communauté internationale. Dans un premier temps, le maréchal Haftar, qui a le soutien du président égyptien, avait dit non à une rencontre avec Fayez al-Sarraj, puis il a changé d’avis. Il pense désormais pouvoir transformer son succès militaire en victoire diplomatique.
L’un des enjeux de la négociation qui va s’ouvrir est la question du pétrole. « Si l’or noir est au cœur des discussions, souligne l’hebdomadaire Jeune Afrique, c’est bien parce que s’emparer des puits constitue une étape essentielle pour s’assurer le contrôle politique et économique de la Libye ». Dans le sud-ouest du pays, souligne l’hebdomadaire, « le plus grand champ pétrolifère est aujourd’hui le théâtre d’affrontements entre les forces du gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj et l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar ». La bataille pour le pétrole rend particulièrement difficile la conclusion d’un accord entre les deux parties, au même titre que la guerre des clans qui continue de ravager le pays. L’échec de l’accord de Paris puis le fiasco de Palerme incitent à la prudence.
Il reste aussi à se demander si la Libye, terre de tribus indociles, est capable de faire vivre des institutions démocratiques et d’abord d’organiser des élections dans des conditions satisfaisantes. Comme le note le chercheur Kamal Almarache, certaines sociétés y sont préparées, d’autres non. En Libye, dit-il, « les gens pensent d’abord à leur tribu » plutôt qu’à l’intérêt général. Les partis politiques n’existent pas, les clans dominent. Le chemin sera rude pour rétablir la paix et surmonter les querelles. Mais une porte s’ouvre qu’il serait regrettable de laisser une fois de plus se refermer.