Macron, pompier libyen

Dans son entretien avec plusieurs grands journaux européens, dont Le Figaro, dans lequel il développait sa conception de la politique européenne, Emmanuel Macron n’y était pas allé par quatre chemins : la France « a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fut le résultat de ces interventions ? Des Etats faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes », déclarait-il en juin, visant aussi l’intervention américaine de 2003 en Irak.
Etat « failli », havre de groupes terroristes et refuge pour des rescapés de l’Etat islamique, base de départ pour des raids terroristes dans la bande sahélienne, lieu de passage incontrôlé pour les migrants… la Libye post-Kadhafi représente une menace pour la sécurité de l’Europe. Pour ne pas parler de la situation de sa propre population en proie depuis six ans aux luttes de clans, aux rivalités entre milices, aux dérives mafieuses. L’espoir d’une longue marche vers l’Etat de droit, comme dans la Tunisie voisine, s’est évanoui, malgré la réussite des élections municipales de 2012, seule véritable avancée démocratique.
Il n’en reste pas grand-chose alors que le pays est divisé entre le gouvernement dit d’union nationale et l’Armée nationale libyenne. Le premier, sous la houlette du Conseil présidentiel dirigé par Faïez Sarraj, seul reconnu par la communauté internationale, règne sur la Tripolitaine à l’ouest ; la seconde, sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar, contrôle la Cyrénaïque autour de Benghazi. Le militaire de 73 ans, nommé par le parlement qui siège à Tobrouk, peut compter sur l’appui de Vladimir Poutine et sur celui de l’Egypte du maréchal Sissi, tandis qu’il contrôle les terminaux permettant l’exportation de pétrole.
Au moment où vient d’être nommé un nouveau représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, en la personne du Franco-libanais Ghassam Salamé, Emmanuel Macron a fait le pari de réunir les deux hommes forts de Libye au château de la Celle-Saint-Cloud, en région parisienne, pour tenter de trouver un accord entre les deux. Une précédente réunion à Abou Dhabi s’était soldée par un échec. « L’enjeu est de bâtir un État capable de répondre aux besoins fondamentaux des Libyens et doté d’une armée régulière unifiée sous l’autorité du pouvoir civil », explique un communiqué du Quai d’Orsay. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, reste convaincu, comme il l’était en tant que ministre de la défense sous François Hollande, qu’une partie de la solution au terrorisme dans la bande sahélienne se trouve en Libye.
Emmanuel Macron poursuit ainsi l’offensive diplomatique tous azimuts qu’il a lancée depuis son arrivée à l’Elysée. Mais il ne se contente pas de rencontres spectaculaires avec les « grands » de ce monde. En s’impliquant en Libye, il s’attaque à une situation qui présente une menace constante pour la stabilité de l’Europe. Un demi-million de migrants sont passés par la Libye en direction de l’Italie au cours des quatre dernières années. Ce flot ne pourra être endigué que si la Libye redevient un pays capable de coopérer avec l’Europe. Déjà avant 2011, les Européens avaient honteusement misé sur Mouammar Kadhafi pour contrôler les frontières. Avec l’élimination du colonel-dictateur à la suite de l’intervention occidentale de 2011, la Libye a plongé dans le chaos.
Nul doute que les Européens, comme les Libyens, aient intérêt à l’établissement d’un pouvoir stable et d’un gouvernement unitaire en mesure de contrôler l’ensemble du territoire, avec un partage des responsabilités entre les représentants des diverses provinces. La France est-elle pour autant la mieux placée pour jouer les pompiers, alors que beaucoup de Libyens lui reprochent son intervention de 2011et « l’abandon » qui a suivi. D’autres Etats rêvent de jouer un rôle, comme l’Italie, ancienne puissance coloniale et première destination des migrants, ou l’Algérie qui veut donner la priorité aux pays de la région. La concurrence des initiatives risque de nuire à leur efficacité.