Malaise à Kaliningrad

Les 30 et 31 janvier ont eu lieu à Kaliningrad – l’ancienne Königsberg de Prusse orientale —, des manifestations contre l’augmentation du coût de la vie, le chômage et la corruption. Les manifestants ont mis en cause le gouverneur de cette région russe, enclavée entre la Lituanie et la Pologne. Ces manifestations avaient certes des causes locales mais elles ont aussi été interprétées comme le signe d’un malaise social qui pourrait gagner tout le pays à la suite de la crise économique.

Ancien territoire allemand de la Prusse Orientale, la région de Kaliningrad a été attribuée à l’URSS en 1946 à l’issue de la seconde guerre mondiale. La région est devenue une enclave avec l’indépendance de la Lituanie au début des années 1990. A la suite de l’élargissement de l’Union Européenne, l’enclave russe s’est trouvée « encerclée » par l’Occident, qui influence son économie, mais aussi l’état d’esprit de sa population. Avec près d’un million d’habitants et une surface deux fois plus petite que celle de la Belgique, Kaliningrad est à la fois une Russie en miniature et une région en marge de la « mère-patrie ». 

Après la dissolution de l’Union soviétique en 1991, la Russie a traversé une crise structurelle et économique qui a particulièrement touché la région de Kaliningrad. Enclavée entre la Lituanie et la Pologne, la région a souffert de son isolement et la décrépitude de son industrie. 70% de son activité a alors disparu. Kaliningrad est devenue tristement célèbre pour sa pauvreté et ses problèmes sociaux. Les autorités russes sont intervenues. Dès 1991, elles ont attribué à la région le statut de zone économique spéciale (ZEC), légalisée en 1996. Ce statut a permis à Kaliningrad de survivre à la crise. Les avantages accordés à la ZEC incluaient l’exemption de droits de douane sur les importations. Cette exemption avait été utilisée avec un grand succès par les businessmeni de Kaliningrad pour importer des biens de l’Union Européenne, notamment des voitures, et les revendre dans le reste de la Russie. La nouvelle loi russe sur les ZEC de 2006, assujettissant aux droits de douane les marchandises importées à Kaliningrad et vendues dans les autres régions russes, a mis fin à cette pratique.

Une région stratégique

A partir de 1999, sur fond général de stabilisation économique en Russie, les activités traditionnelles de Kaliningrad, notamment la pêche, la construction mécanique et la production d’ambre, ont connu un nouvel essor. La situation géographique a favorisé la croissance de petites et moyennes entreprises, qui profitent des échanges internationaux avec les pays voisins. Le tourisme s’est également développé, la région offrant une nature exceptionnelle, par exemple l’isthme de Courlande, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Kaliningrad qui a été une région militaire essentielle dans la stratégie soviétique pourrait être amené à jouer à nouveau un rôle militaire important pour la Russie, dans un avenir proche. En réponse au projet américain de déployer des éléments d’un bouclier antimissiles en Pologne, à quelque 100 kilomètres du territoire russe, le président Dmitri Medvedev a annoncé en novembre 2008 que des missiles Iskander, capables de porter des têtes nucléaires, pourraient être installés à Kaliningrad. Le président Obama est revenu sur le projet de bouclier antimissiles préparé par l’administration Bush mais, en contrepartie, a annoncé la livraison à la Pologne de missiles sol-air Patriot

Dans le domaine de l’énergie nucléaire, Kaliningrad pourrait également revenir sur le devant de la scène avec la construction dans les deux prochaines années de la première centrale nucléaire de l’ère postsoviétique. La compagnie étatique Rosatom prévoit d’investir près de 400 millions de dollars (300 millions d’euros) dans cette centrale, dont 49% des parts seraient offerts à des investisseurs privés. 

La crise économique mondiale n’a pas épargné Kaliningrad. La dépression a aggravé un malaise social qui s’était manifesté dès 2008 par des manifestations contre des mesures de durcissement à l’importation de voitures en Russie Des protestations ont eu lieu dans l’ensemble du pays jusqu’à Vladivostok. Depuis lors, elles se sont multipliées à Kaliningrad. Les 30 et 31 janvier, la manifestation la plus massive observée en Russie depuis 20 ans, avec plus de 10 000 personnes a été organisée dans la ville, donnant le coup d’envoi à des rassemblements à Saint-Pétersbourg, Moscou, Irkoutsk et Vladivostok. Une nouvelle manifestation est prévue pour le 20 mars.

Des manifestations dans l’ensemble de la Russie

Les manifestants à Kaliningrad s’étaient initialement rassemblés contre un projet de hausse des impôts sur les transports. Entretemps, le projet avait été annulé, mais la manifestation a quand même eu lieu, dirigée cette fois contre une hausse de 25 à 30% de certains services publics et contre le chômage. Les manifestants ont notamment demandé la démission du gouverneur local Georgy Boos, le rétablissement de l’élection des gouverneurs, abolie en 2004 après la prise d’otages de Beslan, et la démission de Vladimir Poutine du poste de Premier ministre. De manière surprenante et contrairement à ce qui avait été observé dans les villes où ont eu lieu les autres manifestations, le rassemblement n’a pas été réprimé par la police locale. 

Malgré la popularité des dirigeants russes – 54% pour Vladimir Poutine et 42% pour Dmitri Medvedev –, de nombreux observateurs ont analysé la manifestation de Kaliningrad comme un signal adressé au pouvoir et le signe d’un malaise social qui pourrait s’étendre à toute la Russie. Le fait que le mouvement ait pris son origine à Kaliningrad s’expliquerait par la proximité de l’Europe. Le parti majoritaire à la Douma, Russie unie, a réagi avec vigueur à ces manifestations, envoyant une délégation sur place, engageant des débats houleux avec les autres partis et prenant des précautions lors des manifestations qui ont suivi ailleurs en Russie. Une preuve que les autorités ont pris au sérieux l’avertissement lancé depuis Kaliningrad.