La décision de Barack Obama de revenir sur le projet de George W. Bush d’installer un système antimissile en Pologne et en République tchèque n’a pas été une surprise dans les deux Etats concernés. Des fuites avaient laissé entendre ces derniers temps que les Etats-Unis étaient en train de revoir le programme. Le candidat Obama avait déjà manifesté ses réticences pendant la campagne électorale. Il n’en reste pas moins que la remise en cause de ce bouclier antimissile a une valeur symbolique qui crée un malaise en Europe de l’Est, au-delà de la Pologne et de la République tchèque.
Les autorités de ces deux pays ne sont pas celles qui avaient pris la décision d’accepter le projet américain, contre la majorité de leur opinion publique. A Varsovie, le gouvernement libéral de Donald Tusk a succédé au conservateur Kaczinsky et à Prague, un cabinet de technocrates expédie les affaires courantes en attendant des élections anticipées. Toutefois le bouclier antimissile était vu comme la manifestation de la volonté américaine, non seulement de protéger les Etats-Unis et leurs alliés contre une éventuelle frappe de fusées intercontinentales venant d’Iran mais comme un engagement du grand allié de garantir la sécurité de l’Europe centrale et orientale contre les convoitises russes. L’argument était en contradiction avec la rhétorique américaine qui assurait que le système antimissile, le radar en République tchèque et les intercepteurs en Pologne, ne menaçait en rien la Russie. Il n’en était pas moins utilisé par les Polonais et les Tchèques et soutenu par leurs amis de l’ancien bloc soviétique.
Dans une lettre ouverte adressée récemment à Barack Obama, d’anciens dirigeants d’Europe de l’Est, dont beaucoup avaient participé aux révolutions de velours qui minèrent le camp communiste au tournant des années 1980-1990, avaient mis en garde la nouvelle administration contre l’idée que l’amitié des anciennes démocraties populaires était définitivement acquise aux Etats-Unis. Ils avaient apprécié la politique de fermeté de George W. Bush face à la Russie de Vladimir Poutine, même si celle-ci s’était surtout manifestée par de belles déclarations au moment de la guerre russo-géorgienne de l’été 2008. Ils craignaient d’être sacrifiés par Barack Obama sur l’autel d’un rapprochement avec Moscou.
Sous bénéfice d’inventaire
La décision unilatérale du nouveau président américain peut être considérée comme un succès diplomatique de la Russie, sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire sauf si elle est suivie par des concessions russes, soit sur la politique vis-à-vis de l’Iran, soit dans les négociations sur la réduction des armements nucléaires.
Dans un entretien accordé au site internet du magazine allemand Der Spiegel, l’ancien président polonais Alexander Kwasniewski suggère « de ne pas dramatiser la décision d’Obama ». L’appartenance de la Pologne, et des autres Etats d’Europe centrale, à l’OTAN et à l’Union européenne, devraient les inciter à ne pas avoir peur de la Russie. Kwasniewski, qui est signataire de la lettre des ex-dirigeants est-européens, prend acte que l’Europe de l’Est, et l’Europe en général, n’ont plus la même importance que par le passé dans la politique étrangère américaine. Faut-il s’en inquiéter ? Le devoir des membres de l’UE, dit-il, est de ne pas laisser les Américains oublier les pays européens qui sont encore en dehors de l’Union, l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, la Géorgie, etc. C’est d’ailleurs le rôle dévolu au président Joe Biden de rassurer les alliés de ce que l’ancien secrétaire à la défense de George W. Bush, Donald Rumsfeld, appelait maladroitement « la nouvelle Europe ».
Les membres est-européens de l’UE ont un autre devoir : travailler au renforcement de l’Union, prendre au sérieux la politique de défense européenne et contribuer à son renforcement, sans tout attendre des Etats-Unis, comme ils avaient trop tendance à le faire. Si la renonciation au bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque entraînait cette conséquence, elle ne pourrait être que bénéfique pour l’Europe unie.