Mario Monti, le « technocrate » en échec

Désavoué par les électeurs italiens, l’ancien commissaire européen quitte le pouvoir après avoir imposé à son pays une politique de rigueur et rétabli sa crédibilité en Europe. La bataille politique a dissipé l’illusion du consensus.

Après Lucas Papademos, le banquier grec appelé à remplacer en novembre 2011 le socialiste Georges Papandréou à la tête du gouvernement puis écarté quelques mois plus tard par le suffrage universel, voici un autre « technocrate », l’Italien Mario Monti, qui doit quitter le pouvoir au terme d’un mandat écourté par des élections générales. Pari perdu pour ces deux économistes chargés il y a quinze mois, sous la pression de l’Union européenne, d’imposer à leurs pays respectifs les réformes douloureuses que leurs prédécesseurs, Georges Papandréou en Grèce, Silvio Berlusconi en Italie, n’avaient pas réussi à mener à bien.

Acceptant par avance d’être impopulaires en refusant toute forme de démagogie, les deux hommes ont tenté de convaincre leurs peuples qu’une cure d’austérité était inévitable pour redresser les finances publiques. Extérieurs aux partis politiques mais soutenus par les principaux d’entre eux au nom de la nécessaire union nationale, ils ont cru possible d’échapper aux traditionnelles querelles idéologiques en surmontant l’antagonisme droite-gauche qui structure, en Grèce comme en Italie, le paysage politique. Ils ont été désavoués par les électeurs qui ont choisi de revenir aux affrontements familiers après une période de rigueur jugée excessive.

Mario Monti a-t-il eu tort de croire, comme l’explique l’ancien sénateur italien Franco Debenedetti, qu’il pouvait créer en Italie « une sorte de parti transversal des réformistes » ? Peut-être. En France, le président du Modem, François Bayrou, a fait sans succès, en 2012, le même calcul en se portant candidat à l’élection présidentielle. Dans un livre récent coécrit avec une élue du Modem, l’eurodéputée Sylvie Goulard (De la démocratie en Europe, Flammarion), Mario Monti a théorisé cette méfiance à l’égard des vices de fonctionnement de la démocratie. Il y dénonçait notamment « la tyrannie du court terme » imposée par les échéances électorales.

Sans s’illusionner sur son propre sort, il ajoutait : « Souvent les gouvernements qui ont mené des réformes dans une perspective de long terme ont été chassés du pouvoir ». Aussi appelait-il à « une juste combinaison de la technocratie et de la démocratie », estimant en particulier que « la tâche des gouvernants n’est pas de suivre aveuglément les pulsions des peuples ». Face à la crise, il jugeait indispensable la formation de « larges consensus » mis en œuvre par des « gouvernements de coalition ». Ce rassemblement des partis lui a permis de gouverner pendant quinze mois et d’accomplir des réformes importantes. Mais l’expérience prend fin. En dépit des quelques succès obtenus par le gouvernement sortant et de la crédibilité qu’il a rendue à l’Italie, l’échec est amer pour l’ancien commissaire européen devenu premier ministre presque malgré lui.

Ce n’est pas un hasard si Mario Monti a reçu le soutien indéfectible de l’Union européenne. Sa démarche est en effet proche de celle de Jean Monnet et des fondateurs de l’Europe unie, et elle continue d’inspirer les « technocrates » de Bruxelles, plus confiants dans l’expertise des hauts fonctionnaires que dans les caprices supposés de l’opinion. « Pour l’homme politique, l’objectif de tous les instants est d’être au gouvernement, et d’y être le premier », disait Jean Monnet, qui ajoutait : « Tout finit par tourner autour de la lutte pour l’investiture ; et l’objet du pouvoir, le problème à régler, est oublié ». Parce qu’ils extérieurs aux luttes politiques, les technocrates se jugent mieux placés pour faire prévaloir l’intérêt commun par delà les divergences et les querelles.

L’Union européenne s’est construite largement sur ce principe mais son histoire récente en illustre les limites. Les peuples n’acceptent plus de s’en remettre à la bonne volonté des grands commis de l’Etat. Mario Monti vient de subir en Italie le sort qui fut jadis en France celui de Raymond Barre, économiste comme lui, ancien commissaire européen comme lui. Populaire auprès des élites, réputé pour sa rigueur et son intransigeance, loué pour sa compétence, l’ancien premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing a échoué, comme son lointain successeur italien, face au suffrage universel. Les recettes des techniciens de l’économie ne durent qu’un temps. Vient un moment où la politique reprend ses droits et où les batailles d’idées dissipent l’illusion du consensus.