L’Allemagne a avec son armée un rapport très particulier. Quand elle est réapparue des cendres de la Wehrmacht, dans les années 1950, la Bundeswehr a été contestée par une grande partie de la population (ouest) allemande. Personne ne voulait voir de nouveau que « les Allemands pouvaient être de bons soldats », comme le dira plus tard au moment de l’intervention en ex-Yougoslavie, le président allemand de l’époque, Richard von Weizsäcker. Un grand mouvement d’objection de conscience s’est développé contre le réarmement de la RFA, sous le slogan « ohne mich » (sans moi). Les fondateurs de la Bundeswehr ont tenu à ce que les soldats soient des « citoyens en uniforme », bénéficiant sous les drapeaux des mêmes droits civiques que l’ensemble des citoyens. C’est ce qu’on appelle en Allemagne l’ « innere Führung ».
La Bundeswehr a été créée, à la demande des Américains, au plus fort de la guerre froide, pour faire face au bloc soviétique. La Loi fondamentale (Constitution) de la RFA interdisait à l’armée allemande d’intervenir en dehors des frontières de l’Alliance atlantique, pour des objectifs autres que la défense du territoire. C’est du moins la lecture que tous les gouvernements ouest-allemands ont fait de la Loi fondamentale jusqu’au jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui, en 1994, a admis les engagements hors zones, à condition qu’ils soient autorisés par l’ONU, l’OTAN, et peut-être l’Union européenne.
Les premières interventions allemandes, dans les airs, ont eu lieu au moment de la guerre du Kosovo. Mais c’est en Afghanistan que les premiers soldats allemands se sont retrouvés dans des situations de combat au sol. Encore, dans un premier temps, étaient-ils cantonnés à des tâches de maintien de la paix, de construction de route ou d’écoles, de protection des humanitaires. Quelque 4500 soldats allemands se trouvent en Afghanistan, dans la force internationale sous commandement de l’OTAN. Trente six ont déjà trouvé la mort à Kaboul ou dans le nord du pays.
Les premières victimes militaires allemandes ont été enregistrées en ex-Yougoslavie à la fin des années 1990. C’était la première fois depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale que des Allemands tombaient sous l’uniforme. L’émotion fut grande en Allemagne, où le sentiment pacifiste s’est répandu en opposition au militarisme de la première moitié du XXè siècle. Mais elle fut encore plus intense quand des civils sont morts à cause d’une décision d’un officier allemand, début septembre en Afghanistan. Près de Kunduz, dans le nord du pays, le colonel Georg Klein a demandé l’intervention de l’aviation américaine contre un groupe considéré comme des talibans qui s’étaient emparé de deux camions-citernes pouvant servir d’armes contre le contingent allemand. Deux F-15 ont lancé deux bombes qui ont fait plus de 150 victimes, parmi eux une vingtaine de civils dont des enfants et des adolescents.
Deux mois après cette opération, l’ancien ministre allemand de la défense, Franz Josef Jung, vient de démissionner du poste de ministre du travail qu’ »il occupait dans le nouveau gouvernement d’Angela Merkel. Le chef d’état-major des armées, le général Schneiderhan, et le secrétaire d’état Peter Wichert ont été renvoyés par le nouveau ministre, Karl-Theodor zu Guttenberg. C’est moins l’erreur d’appréciation qui leur est reprochée que le silence qui a entouré l’incident. Franz Josef Jung est accusé d’avoir caché au parlement allemand et au public des informations sur les victimes civiles, qu’il connaissait ou qu’il aurait dû connaître, bien qu’il ait affirmé ne pas avoir pris connaissance d’un rapport destiné à l’OTAN.
Deux conclusions peuvent être tirées de cette affaire. Une conclusion générale : en Allemagne, le respect du parlement, surtout quand il s’agit d’un sujet aussi sensible que la Bundeswehr, ne souffre pas d’exception. Une conclusion plus conjoncturelle : la nouvelle coalition entre les chrétiens-démocrates et les libéraux, qui se débat avec d’autres controverses comme la baisse des impôts et l’explosion de la dette a pris un mauvais départ.