Mayotte – Comores : une relation fratricide

Au mois de septembre, le projet de gratuité des visas entre les Comores et Mayotte a provoqué des manifestations de mécontentement dans l’île française qui subit une forte pression migratoire de la part de ses voisins. Les autorités sont revenues sur leur intention mais la tension reste vive dans la région, comme l’explique Damien Gautreau depuis Mayotte.

Interception d’une embarcation clandestine par la Gendarmerie nationale
Gendarmerie nationale/AFP

Mayotte, dans l’archipel des Comores, est depuis 2011 le 101ème département français. Une situation que conteste l’Union des Comores. Lorsqu’on arrive à Mayotte, on arrive dans un département français d’outre-mer. Bien que cela ressemble beaucoup à l’Afrique, la présence du drapeau tricolore ne laisse planer aucun doute.
Les fonctionnaires français sont bien là : militaires, policiers, médecins et enseignants. On y trouve les services habituels de France (La Poste, la préfecture …) ainsi que des entreprises françaises (Orange, Total, Canal+, Colas…). Rien ne laisse supposer que la présence française à Mayotte est contestée. Pourtant, l’île est toujours revendiquée par l’Union des Comores et l’ONU donne raison à cette dernière. Pour comprendre cette situation particulière, il faut se pencher sur l’histoire récente de la région.

Découpage du référendum

En effet, à partir des années 1960, la France se sépare de ses colonies. Pour les Comores, c’est un ensemble de quatre îles colonisées par la France, depuis 1841 pour Mayotte, 1886 pour le reste de l’archipel. En 1974, la population des quatre îles est consultée sur l’accès à l’indépendance. A Mayotte, la campagne est compliquée car des Mahoraises – appelées chatouilleuses – empêchent les politiciens d’Anjouan ou de Grande Comore de faire campagne sur l’île au lagon. Le débat n’a pas lieu, seuls les partisans du maintien font campagne. De plus, la France semble agir pour le maintien de Mayotte dans son giron pour des raisons géopolitiques.
Finalement le résultat dans l’ensemble de l’archipel est sans appel : plus de 90% des habitants souhaitent l’indépendance. Mais, si on regarde au cas par cas, les habitants de Mayotte souhaitent à 65% le maintien. La France s’appuie sur cette particularité et décide de considérer le résultat du vote île par île, ce qui lui permet de conserver uniquement Mayotte.
Les Comores proclament leur indépendance en 1975 en revendiquant l’intégralité du territoire, Mayotte compris. L’ONU donne raison aux Comoriens et condamne par une vingtaine de résolutions différentes l’occupation de Mayotte par la France. L’ONU « demande au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté » (résolution 31/4 d’octobre 1976).
La France n’en tient pas compte et continue d’administrer l’île. La position de l’ONU demeure inchangée. De son côté, l’Union des Comores revendique toujours le rattachement de Mayotte à son territoire. L’État comorien ne manque pas de signaler qu’il se compose bien de quatre îles, à travers des déclarations mais aussi des affichages ou des giratoires signalant que « Mayotte est comorienne et le restera ». Pour l’ensemble de la population comorienne, cela ne fait aucun doute non plus, les Comores se composent de quatre îles.

La deuxième zone maritime du monde

Certains se demandent pourquoi la France tient tant à Mayotte et ne voient pas quelle utilité l’île pourrait bien avoir. L’intérêt n’est pas mince. Garder Mayotte permet à la France d’assurer la continuité de la ZEE française (Zone Économique Exclusive, 200 miles nautiques de côtes dont l’exploitation est réservée) dans le Canal du Mozambique.
Cette zone va des Îles Glorieuses à Europa, en passant par Mayotte, Juan de Nova et Basas da India. La France contrôle donc intégralement cette partie de l’Océan Indien. Or, il se trouve qu’environ 3/4 du pétrole mondial transite dans cette zone. Des gisements d’hydrocarbures ont même été découverts sur place.
Mais c’est surtout un emplacement géostratégique majeur. Mayotte abrite un important centre d’écoute qui permet d’espionner l’ensemble de l’Océan Indien et du continent africain. Aucune conversation n’échappe à la France. Et en cas de conflit dans la région, l’île est prévue pour accueillir les navires de guerre français.
De plus, les eaux sont très poissonneuses, ce qui est un atout économique de plus en plus important. Rappelons que la France détient, grâce à ses possessions ultramarines, la deuxième ZEE au monde, juste derrière les Etats-Unis.
Quant à ceux qui pensent que cela coûte trop cher de garder Mayotte, qu’ils se rassurent, la France investit le strict minimum sur place. Mayotte est le département français où les investissements publics sont les plus faibles. Justement, ce manque d’investissements est à l’origine de situations très préoccupantes en termes d’éducation, de santé et de sécurité. Les Mahorais sont confrontés à un quotidien difficile, indigne d’un département français. Or, au lieu de réclamer à l’État leur dû, il leur est plus facile d’accuser la population comorienne massivement présente sur place et qui constitue le bouc-émissaire idéal.

Une "feuille de route" libérale contestée

Les tensions ethniques sont omniprésentes et la situation est explosive. Les Mahorais s’illustrent par une xénophobie assumée qui va d’actions de décasage (action visant à déloger de force des habitants étrangers), à un vote massif pour Marine Le Pen à la présidentielle de 2017, en passant par des insultes sur les réseaux sociaux.
En septembre, la population à Mayotte n’a eu qu’un sujet de discussion : la feuille de route. Il s’agit d’un accord signé le 12 septembre entre le ministre français des affaires étrangères et son collègue comorien. Il vise à repenser l’attribution de visas aux ressortissants comoriens et faciliter les échanges entre les îles de l’archipel tout en assurant un meilleur contrôle. Pour cela, la demande de visa sera gratuite et le rapprochement familial facilité. Cela signerait donc la fin du « visa Balladur », lequel est de toute façon inefficace.
La mobilisation a battu son plein contre cette feuille de route qui n’était alors pas rendue publique et que donc personne n’avait lue. Le chef-lieu Mamoudzou a été le théâtre d’importantes manifestations, notamment le lundi 25 et le jeudi 28 septembre. Certains activistes ont même décidé de bloquer le service des étrangers de la préfecture à plusieurs reprises, empêchant ainsi la délivrance de titres de séjour.
Malgré le report de la mise en place de cette feuille de route, la tension ne redescend pas. Un élu de Mamoudzou a même ouvertement appelé à la guerre civile entre Mahorais et Comoriens le 7 octobre. Le 17 octobre, une grande prière a été organisée "pour l’avenir de Mayotte et contre l’immigration". Un groupe a ensuite tenté une nouvelle fois de bloquer le service des étrangers de la préfecture.
La situation reste donc très compliquée sur place, entre l’Union des Comores, la France qui souhaite conserver Mayotte en limitant les dépenses, les Mahorais qui aspirent au développement de leur île et les Comoriens qui migrent illégalement vers Mayotte en espérant une vie meilleure. Il est pourtant urgent de trouver une solution. Le mercredi 1er novembre, un kwassa venant d’Anjouan (Île comorienne se situant à 70 km de Mayotte) a chaviré dans les eaux mahoraises et les cadavres de trois enfants ont été repêchés...