La révolution des roses à Tbilissi et la révolution orange à Kiev avaient toutes les deux été déclenchées par des manipulations électorales en faveur de la nomenklatura postcommuniste au pouvoir et elles avaient toutes les deux abouti à l’avènement de régimes pro-occidentaux sinon démocratiques. Pour ne rien dire de la "révolution des tulipes" qui a eu lieu à la même époque au Kirghistan mais qui était plutôt une révolution de palais. Le Kremlin craint que le scénario géorgien ou ukrainien se reproduise à Chisinau, la capitale de la Moldavie.
La Moldavie entre la Russie et l’Europe
Des milliers de manifestants, des jeunes pour la plupart, contestent le résultat des élections législatives qui ont donné 50% des voix au Parti communiste. Son chef, Vladimir Voronine, jusqu’alors président de la République, est un apparatchik de la vieille garde qui oscille entre la Russie et l’Union européenne.
La Moldavie est un des pays les plus pauvres d’Europe. Elle a été rattachée en 1945 à l’Union soviétique alors qu’elle était auparavant une province de la Roumanie. Ce fait rend la situation encore plus compliquée qu’en Ukraine et en Géorgie. Certains Moldaves, bien qu’ils soient apparemment de moins en moins nombreux, regardent vers la Roumanie avec d’autant plus d’envie que ce pays vient d’entrer dans l’UE. Les Moldaves voudraient bénéficier des mêmes avantages que leurs amis roumains, notamment circuler librement en Europe où plus du quart de la population adulte travaille, souvent clandestinement. A quoi il faut ajouter pour compliquer le tableau qu’une partie de la Moldavie, la Transnistrie, a fait sécession dès le début des années 1990 et demandé son rattachement à la Russie. C’est un de ces « conflits gelés », comme on le disait aussi pour l’Ossétie du sud et l’Abkhazie en Géorgie, que Moscou entretient pour faire pression sur ses voisins et sur l’Union européenne. On sait comment les Russes ont réglé la question de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie en août 2008.
Saakachvili contesté en Géorgie
La guerre russo-géorgienne qui a abouti à l’amputation de deux régions de la Géorgie n’est pas étrangère aux manifestations qui ont lieu depuis jeudi 9 avril à Tbilissi, capitale de la Géorgie. Les manifestants protestent contre l’exercice autoritaire du pouvoir qu’ils reprochent au président Mikheïl Saakachvili mais aussi contre son amateurisme dans la conduite d’un conflit qui a plongé le pays dans la crise. Non seulement la Géorgie a perdu une partie de son territoire, mais elle doit maintenant supporter la charge de milliers de réfugiés. Pendant ce temps, le conflit a freiné la croissance économique et fait fuir les investissements étrangers. Les anciens amis de Saakachvili qui avaient fait avec lui la révolution de 2003 sont passés dans l’opposition, certains, il est vrai, par opportunisme, la plupart parce qu’ils ne supportent plus les méthodes autoritaires et erratiques du président.
Ce n’est pas la première fois que des dizaines de milliers de Géorgiens manifestent. En novembre 2007, des dizaines de milliers de personnes avaient bloqué les abords du Parlement pour exiger la démission de Saakachvili. Ils n’avaient pas totalement obtenu satisfaction mais ils l’avaient obligé à organiser des élections anticipées qu’il avait gagnées. Les observateurs internationaux n’avaient pas constaté de violations grossières. Force est cependant d’admettre que les mauvaises habitudes héritées du passé ne se perdent pas du jour au lendemain et que les dirigeants post-communistes ont quelques difficultés à supporter des opposants qu’ils ont tendance à confondre avec des traîtres. La Géorgie ne fait pas exception.
Querelles ukrainiennes
En Ukraine, la situation n’est guère plus brillante. Dans une crise économique qui frappe particulièrement un pays fragile, les anciens alliés de la révolution orange, le président Viktor Iouchtchenko et le premier ministre Ioula Timochenko se déchirent allègrement dans la perspective de l’élection présidentielle qui doit avoir lieu l’année prochaine. Le pays est déjà structurellement divisé entre l’Ukraine occidentale tournée vers l’Europe et l’Ukraine orientale peuplée de russophones plus sensibles aux pressions de Moscou. A cela s’ajoute, dans le camp « démocrate », une bataille pour le contrôle des dividendes procurés par le transit du gaz russe destiné à l’Union européenne.
Dans une certaine mesure, l’inquiétude de Moscou paraît exagérée. Les dirigeants russes disposent de différents moyens d’intimidation, pas uniquement militaires, sur les républiques voisines qui essaient d’échapper à leur tutelle. Ils ont humilié la Géorgie ; ils peuvent couper le gaz à l’Ukraine et ils peuvent utiliser contre Kiev la population de la Crimée, base de leur flotte de la Mer noire ; ils entretiennent, en Transnistrie, un aiguillon planté dans la chair de la Moldavie. Toutefois, ces cartes géostratégiques ne leur seraient pas d’un grand secours pour le cas où la poursuite de l’aggravation de la situation économique et sociale en Russie même provoquerait des manifestations du type de celles qui ont eu lieu ces dernières années dans leur « étranger proche ». C’est la raison pour laquelle les révolutions « de couleur », aussi pâlichonnes soient-elles devenues, restent leur hantise.