Moscou-Pékin, un mariage de raison

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Quand il dirigeait la diplomatie américaine, Henry Kissinger avait un principe : les relations entre les Etats-Unis d’une part, Moscou et Pékin d’autre part ne doivent pas être plus mauvaises que les rapports entre les deux capitales du monde alors communiste. D’où la réconciliation spectaculaire en 1972 entre Nixon et Mao Tsedong, en même temps que les Américains continuaient la politique de détente avec l’URSS.

Le voyage que Vladimir Poutine vient d’entreprendre à Shanghai montre que cette relation triangulaire est toujours à l’ordre du jour. Mais Washington ne parait pas en mesure aujourd’hui de tenir l’équidistance avec les deux autres puissances. Les relations sino-américaines comme les relations russo-américaines se sont dégradées. Moscou et Pékin en profitent pour se rapprocher. Alors qu’il est en butte aux sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne, le président russe a pu trouver quelque consolation auprès de son collègue chinois. De son côté, Xi Jinping n’est pas mécontent de resserrer ses relations avec la Russie au moment où il mène une politique de plus en plus agressive vis-à-vis de ses voisins de la mer de Chine. C’est une réponse au voyage que Barack Obama vient de faire dans plusieurs pays asiatiques inquiets de la menace chinoise. Le président américain a réaffirmé le « pivotement » de la stratégie américaine en direction du Pacifique. Malgré la mise en scène d’une proximité décontractée entre Barack Obama et le président chinois peu de temps après l’arrivée de ce dernier au pouvoir, les relations sino-américaines se sont récemment détériorées.

A Shanghai, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont présidé des manœuvres navales russo-chinoises pour démontrer leur détermination commune de ne pas laisser le champ libre aux Etats-Unis et à leurs alliés dans la mer de Chine. En signant d’autre part un accord gazier en négociation depuis des années avec Pékin, le chef du Kremlin a lancé un message à ses clients européens. Si l’Europe croit pouvoir faire pression sur la Russie en se dotant d’une politique énergétique commune lui assurant une indépendance par rapport à Gazprom, Moscou veut montrer qu’il peut s’assurer d’autres débouchés.

La démonstration serait plus convaincante si les dissensions entre la Russie et la Chine n’étaient pas tout aussi évidentes que leur apparente complicité. Si l’hostilité aux Etats-Unis et à la démocratie occidentale les rapprochent, les dirigeants chinois n’ont pas apprécié la manière dont les Russes ont mis la main sur la Crimée. Autant ils défendent le principe de la souveraineté nationale, autant ils craignent l’idée que l’autodétermination de peuples minoritaires puisse porter atteinte à l’intégrité territoriale des Etats. Le Tibet, le Xinjiang peuplé d’Ouïgours, et Taïwan font partie de leurs intérêts fondamentaux qui ne devraient pas être mis en cause par des principes que Poutine a évoqués pour soustraire la Crimée à l’Ukraine.

Le rapprochement entre la Russie et la Chine est à la fois conjoncturel et fondé sur un rejet commun de l’Etat de droit. Mais le contraste entre les situations géographique, démographique et économique des deux pays est tel que la rivalité qui les a opposés périodiquement au cours de l’histoire n’est pas près de disparaitre.