Naissance d’un nouveau paysage politique en Italie

Le système politique italien est en voie de bipolarisation, avec un fort pôle de droite et un pôle de gauche en quête de points de repères. Cette bipolarisation est encore fragile mais elle représente un changement important par rapport à la tradition de fragmentation de la vie politique en Italie.

Comme la plupart des partis de gauche en Europe, le parti démocratique italien, issu du rassemblement des anciens communistes et d’une partie des démocrates chrétiens, est aujourd’hui en grande difficulté. Défait aux législatives puis aux municipales de 2008, il joue une part de son avenir aux européennes du 7 juin. Mais ses résultats pèseront aussi sur l’avenir de ses partenaires européens, qui regardent avec attention la voie originale suivie par la gauche italienne.

Cette voie, c’est celle de l’alliance avec le centre, que le Parti démocratique a adoptée comme une réponse à la crise de la gauche en Europe. Lorsque les anciens communistes ont pris le chemin, dans les années 90, d’une grande coalition avec les héritiers de la démocratie-chrétienne, c’est parce qu’ils ont compris, selon l’historien Marc Lazar, que la gauche seule ne parviendrait jamais à gagner et qu’elle avait besoin du concours d’une partie du centre.

Cette démarche a conduit, au terme de plusieurs épisodes retracés par Marc Lazar au cours d’un séminaire accueilli, lundi 6 avril à Paris, par la Fondation pour l’innovation politique, à la création, en 2007, du « Partito democratico », dont Walter Veltroni fut le premier secrétaire général. La victoire électorale lui semblait promise, alors que l’un des siens, Romano Prodi, était depuis 2006 à la tête du gouvernement et que ses adversaires de droite paraissaient affaiblis par leurs divisions.

La chute du gouvernement Prodi, en janvier 2008, est venue trop tôt. Le Parti démocratique n’était pas prêt. Son échec a interrompu son ascension. Il doit faire face, selon Marc Lazar, à cinq défis, qui correspondent à « cinq éléments de crise ».

- Une crise stratégique : le Parti démocratique doit-il encore étendre ses alliances vers le centre ou renouer avec la gauche radicale, dont il s’est séparé ?

- Une crise sociologique : comment élargir son audience aux jeunes et aux salariés du secteur privé, qui lui font cruellement défaut ?

- Une crise de leadership : après la démission de Walter Veltroni, remplacé récemment par Dario Franceschini, comment s’opposer avec succès avec Silvio Berlusconi ?

- Une crise organisationnelle : comment unifier vraiment des forces aux traditions différentes ? 

- Une crise de culture et d’identité : le parti est profondément divisé sur les questions d’éthique et de société. 

Pour tenter de relever ces divers défis, le Parti démocratique a encore du travail devant lui.

Berlusconi contre Fini ?

En face, Silvio Berlusconi a su, en temps utile, mettre la droite en ordre de bataille. En lançant par surprise, pour répondre à l’initiative de la gauche, l’idée d’une fusion des formations de la droite et du centre droit et en créant officiellement, il ya quelques semaines, le Peuple de la liberté, le chef du gouvernement italien a réussi à donner à son camp un nouvel élan.

D’abord réticent, son principal allié, Gianfranco Fini, a accepté de dissoudre son propre parti, Alliance nationale, dans le nouveau rassemblement. Plusieurs petits groupements s’y sont joints à leur tour, assurant une base solide à la « révolution libérale » annoncé par Silvio Berlusconi. Cet événement, commente l’hebdomadaire britannique The Economist, a fait de lui « le maître incontesté de l’Italie ».

Même si la Ligue du Nord, autre allié de Silvio Berlusconi, ne s’est pas associée à l’opération, Silvio Berlusconi a incontestablement renforcé son emprise. La difficulté pourrait toutefois venir de Gianfranco Fini, qui se pose, selon la politologue italienne Sofia Ventura, en « chef de l’opposition » à l’intérieur du nouveau parti et qui, devenu président de la Chambre des députés, n’hésite pas à en défendre les prérogatives face au chef du gouvernement, incarnant « une autre droite possible », voire « le visage humain de la droite ». Les risques de conflits internes ne sont pas négligeables à mesure que se profilera la succession de Silvio Berlusconi.

En attendant, la double unification entreprise à droite comme à gauche marque un pas de plus dans la longue marche vers une bipolarisation du système italien, à l’image de la Vème République en France. Cette bipolarisation est encore fragile mais elle représente un changement important par rapport à la tradition de fragmentation de la vie politique en Italie.

Notons enfin que si, à droite, la création de l’UMP en France a précédé et peut-être inspiré celle du Peuple de la liberté en Italie, à gauche la situation est inversée : l’expérience du Parti démocratique peut influencer les choix du PS au moment où celui-ci s’interroge sur ses relations avec le Modem de François Bayrou.