« Nationaux » contre « européistes »

Emmanuel Macron a choisi de faire de la lutte contre les nationalistes l’axe de sa campagne européenne. « Le repli nationaliste ne propose rien, écrit-il dans sa tribune du 4 mars. C’est un rejet sans projet ». Le président de la République oppose donc à ce rejet son propre projet, qu’il soumet à la discussion des « citoyens d’Europe », destinataires de son message. Contre ceux qui veulent « moins d’Europe », il propose, selon l’expression de l’un de ses proches, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, « mieux d’Europe ». Il prend la tête du combat pour l’Europe face à ceux qui, à l’instar de Marine Le Pen, se définissent comme des « nationaux » et veulent en finir avec les dérives de la construction européenne au nom du respect de la souveraineté des Etats.

L’engagement d’Emmanuel Macron n’est pas sans périls. En prenant résolument le parti de l’Europe, il sait qu’il va heurter une grande partie de la population, qui se méfie de l’Union européenne, à laquelle elle attribue la plupart de ses difficultés, et qui partage la plupart des critiques de Marine Le Pen à l’égard du prétendu « mondialisme » du président de la République. S’il s’agit de choisir entre l’Europe et la nation, comme les y invite la présidente du Rassemblement national, tout porte à croire que ces eurosceptiques se déclareront « patriotes » avant de se considérer comme « Européens ». Le danger pour Emmanuel Macron est d’apparaître à leurs yeux comme celui qui serait prêt à sacrifier l’identité de la nation aux chimères du fédéralisme européen.

Le président français considère que ce risque vaut d’être couru si l’on veut mobiliser les électeurs autour du projet européen. Il n’est pas le seul homme politique en France à défendre l’Europe mais il est celui qui le fait avec le plus de cohérence et le plus de détermination depuis son élection à la présidence de la République. On peut comprendre que certains s’irritent, à droite comme à gauche, de la polarisation qu’Emmanuel Macron tente d’instituer entre le Rassemblement national et tous les autres, enrôlés contre leur gré sous sa bannière européenne. A ceux-là de clarifier leurs positions pour prendre leur part au combat européen. En attendant, le chef de l’Etat pose la question essentielle, à moins de trois mois des élections européennes : faut-il donner à l’Union européenne les moyens de prendre son destin en main ? Ou faut-il laisser dépérir une institution née sur les décombres de la seconde guerre mondiale et menacée aujourd’hui de dissolution ?

Le choix d’Alain Juppé

A cette question Alain Juppé vient de répondre clairement dans la dernière livraison de la revue Commentaire (n°165, printemps 2019). « Pour une fois, j’ai envie d’être un peu manichéen, écrit-il. L’enjeu est trop important pour finasser. Il faut afficher clairement la couleur : pour ou contre l’Europe ; du côté des militants de la construction européenne ou de ses casseurs. J’ai fait mon choix ». Loin des précautions de langage auxquels donnent trop souvent lieu les discours sur l’Europe, l’ancien premier ministre se range délibérément dans le camp des « européistes ». Il se dit résolu à militer « pour la cause européenne aux côtés de ceux qui proposeront des choix sans ambiguïté » et invite « tous les « pro-européens » sincères à passer à l’offensive ». Ce sont ces « pro-européens » qu’Emmanuel Macron tente de rassembler face aux « anti-européens » de France et d’ailleurs.

Les « anti-européens », incarnés notamment par Marine Le Pen, même si elle ne propose plus que la France sorte de l’Union, et par Viktor Orban, ont décidé de se battre principalement sur la question de l’immigration. « Macron s’en prend à ceux qui s’opposent à l’immigration », a déclaré le porte-parole du premier ministre hongrois, Zoltan Kovacs. Du côté du Rassemblement national, le refus de la « submersion migratoire » est au cœur de l’argumentation de Marine Le Pen comme de celle de Jordan Bardella, le chef de file des candidats de son parti aux élections européennes. L’Europe est vilipendée pour son laxisme. « Pour nous, le contrôle de l’immigration est fondamentalement une politique nationale », affirme le porte-parole du Rassemblement national, Sébastien Chenu, qui refuse que la politique migratoire de la France « soit décidée à Bruxelles ».

Polémiques sur l’immigration

La question de l’immigration s’annonce donc comme un des principaux thèmes de la campagne. Emmanuel Macron ne l’élude pas. Il en fait au contraire l’une des clés de son programme européen. Il propose en particulier de « remettre à plat l’espace Schengen » et de renforcer le contrôle des frontières extérieures. Comme Alain Juppé dans son article de Commentaire, il appelle à la fois à une politique d’asile commune et à une politique d’immigration cohérente, dans le respect des obligations de « responsabilité » et de « solidarité ». Au-delà des mots, qui ne sont pas nouveaux, ce qui importe pour Emmanuel Macron est de ne pas laisser à l’extrême-droite le monopole du discours sur les questions migratoires.

Au même moment, la Commission européenne, dans un long communiqué du 6 mars, dresse un bilan positif des actions menées par l’Union européenne au cours des dernières années. « Face à la crise des réfugiés la plus grave qu’ait connu le monde depuis la Seconde Guerre mondiale, l’UE est parvenue à susciter un changement radical en matière de gestion des migrations et de protection des frontières, écrit-elle. L’UE a offert une protection et un soutien à des millions de personnes, a sauvé des vies, a démantelé des réseaux de passeurs et a permis de réduire le nombre d’arrivées irrégulières en Europe à son niveau le plus bas enregistré en cinq ans ». La haute représentante de l’Union, Federica Mogherini, affirme : « La migration constitue un défi mondial que l’on peut relever, ainsi que nous avons choisi de le faire en tant qu’Union, avec des efforts communs et des partenariats solides ».

Ce communiqué, comme la tribune d’Emmanuel Macron ou l’article d’Alain Juppé, sont des réponses directes aux nationalistes. La Commission va plus loin en dénonçant une série de « mythes » auxquels elle oppose des faits. L’UE, dit-elle notamment, n’est plus en crise puisque le nombre des arrivées n’a jamais été aussi bas depuis cinq ans (150.000 en 2018). Elle n’est « ni une porte ouverte ni une forteresse ». Elle soutient les Etats membres sur le triple plan « financier, opérationnel et matériel ». Le Pacte de Marrakech, qui alimente les fantasmes des populistes, est un document non-contraignant qui ne crée aucun droit légal à la migration ni aucune obligation légale pour les Etats.

Entre « nationalistes » et « européistes », le combat est engagé. Chacun des deux camps fourbit ses armes. A travers les inévitables polémiques, les électeurs sont invités à trancher, fin mai, entre les positions des uns et des autres. Même Viktor Orban a salué la tribune d’Emmanuel Macron comme « un bon point de départ pour un dialogue sérieux et constructif sur l’avenir de l’Europe ».