S’il fallait une illustration du double, voire du triple discours de la diplomatie française sur la Russie, le communiqué publié par le ministère des affaires étrangères à la suite de la condamnation à 14 ans de prison de Mikhaïl Khodorkovski et Pavel Lebedev, serait édifiant. C’est un petit chef d’œuvre de langue de bois. Il mérite d’être largement cité. Après avoir souligné que la procédure n’était pas terminée puisque les deux condamnés ont fait appel – comme s’il restait un espoir que la justice russe manifeste enfin son indépendance par rapport au pouvoir politique —, le texte poursuit : « Nous appelons les autorités russes à tenir pleinement compte des préoccupations que le déroulement de ce procès a suscitées au regard de la nécessaire affirmation en Russie des valeurs qui font partie de notre patrimoine commun : primauté du droit, respect des droits et libertés fondamentaux. Comme l’a souligné le président Dmitri Medvedev lui-même, la consolidation de l’Etat de droit est une condition nécessaire à la réussite du processus de modernisation de la Russie. »
Tout est dit : l’appel aux autorités russes, alors que le premier ministre Vladimir Poutine avait, dès avant le verdict, annoncé que Khodorkovski et Lebedev étaient des « voleurs » dont la place était en prison. Les préoccupations – le mot est faible – que le procès et le verdict ont suscités à l’étranger, mais pas un mot d’une condamnation du côté français. Les valeurs « qui font partie de notre patrimoine commun » : commun à qui ? à l’Europe et à la Russie, alors que le pouvoir russe bafoue quotidiennement cette primauté du droit et se soucie comme d’une guigne du respect des droits et des libertés fondamentaux ? Si c’est une manière de rappeler aux dirigeants russes qu’ils se sont engagés, par exemple en entrant au Conseil de l’Europe, à respecter les libertés individuelles, on ne peut pas en conclure que le Kremlin sera très impressionné. Enfin, la référence à Medvedev pourrait passer pour u ne remarque ironique si tout le reste du texte ne donnait pas à croire que les responsables français qui ont signé ce communiqué prennent au sérieux les déclarations officielles russes sur le « processus de modernisation » du pays.
Dérisoire
Le communiqué du Quai d’Orsay laisse une fâcheuse impression. Il fallait une réaction officielle, sans quoi on aurait pu penser que Paris fermait les yeux sur un procès politique. Mais il ne fallait pas aller trop loin dans la désapprobation quelques jours après que la France a vendu deux navires Mistral à la Russie qui, dans le discours officiel, n’est plus une adversaire mais une partenaire.
Cet assaut de prudence trompe d’autant moins que les dirigeants français, le président de la République comme ses conseillers, ne se font aucune illusion sur la nature du régime russe. Les conversations avec les diplomates américains révélées par Wikileaks ne laissent aucun doute à ce sujet. La langue de bois destinée au grand public, et sans doute en premier lieu aux interlocuteurs russes, n’en est que plus dérisoire.