Nicolas Sarkozy et la crise financière : propositions, incantations et non-dits

Après être longtemps demeuré silencieux – ce qui n’est pas dans ses habitudes, Nicolas Sarkozy a enfin décidé de s’exprimer sur la crise financière qui ébranle les bourses mondiales et qui ne laissera pas indemnes les économies réelles, à la tribune des Nations- Unies mardi 23 septembre, puis jeudi 25 septembre à Toulon.

Parler ! Le silence présidentiel devenait pesant. Il était inimaginable que le chef de l’Etat se tût alors que l’incendie faisait rage à Wall Street et que le trésor américain, la Fed, la BCE ou la banque d’Angleterre jouaient plus ou moins efficacement les pompiers. Parler mais que dire ? L’Elysée a longtemps hésité. Les conseillers du président n’ont pas encore totalement fait leur religion. Quel discours peut bien tenir le chef de l’Etat en effet sur une crise dont la maîtrise lui échappe totalement mais qui va évidemment aggraver encore la situation déjà fort préoccupante de l’économie française et dégrader un peu plus l’état désolant de nos finances publiques ?

Faute d’avoir à disposition une réponse claire et une stratégie économique définie, Nicolas Sarkozy paraît avoir choisi de conjuguer plusieurs registres.

Le registre technique

C’est le discours tenu devant l’Assemblée des Nations Unies. Le chef de l’Etat reprend à son compte l’analyse de tous les experts : cette crise est une crise de la régulation. Il fait judicieusement siennes les réponses de bon sens apportées par tous les analystes : il convient qu’à l’avenir les agents financiers se dotent de règles prudentielles autrement contraignantes, que les entreprises soient tenues de respecter des normes comptables plus exigeantes et plus transparentes et que les agences de notations des produits financiers cessent d’être à la fois juges et parties. Et, puisque la crise est mondiale, en bon politique qui a toujours en poche une idée de sommet, Nicolas Sarkozy propose que se tienne en novembre prochain, au niveau d’un G8 élargi, une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des pays les plus concernés par la crise actuelle pour réfléchir aux moyens de remettre de l’ordre dans ce système capitaliste qui a échappé à tout contrôle.

La suggestion est opportune. Elle porte sur l’avenir. Nul ne sait ce qu’il adviendra de ce projet et ni quelle en sera l’efficacité, mais il permet à son auteur de donner le sentiment, certes quelque peu illusoire, d’agir sur la crise.

Le registre populiste

C’est l’appel démagogique à sanctionner ceux qui sont « responsables de ce désastre » ! En vaillant Robin des Bois, défenseur du peuple des petits épargnants spoliés, Nicolas Sarkozy entend que soient punis ceux par qui est arrivé le scandale. La condamnation plaira. Le peuple a besoin de boucs émissaires. Seulement qui faut-il punir ? La question est aussi complexe que celle concernant le sexe des anges. Les banquiers d’affaires qui ont enfanté les produits spéculatifs « titrisés » et tous ces actifs toxiques ? Les autorités de régulation qui se sont montrées laxistes, les instituts de crédit spécialisés qui ont prêté à tour de bras à des ménages qu’ils savaient insolvables, les dirigeants politiques qui ont encouragé cette course à la consommation, les agences de notations qui se sont montrées trop complaisantes quand elles n’étaient pas de connivence, la Fed et sa politique des taux d’intérêt trop bas qui ont permis l’emballement du marché, les grands patrons qui ont éreinté leurs entreprises pour en valoriser toujours plus le cours des actions ? La liste est infinie. Et la condamnation de Nicolas Sarkozy, pour lui valoir une image flatteuse de redresseur de tort, ne mange pas de pain et restera trop évidement sans effets.

Le registre de l’incantation

C’est la demande répétée mais platonique d’une meilleure gouvernance économique européenne et le procès implicite mais sans effet de la politique suivie par la Banque centrale européenne. Nicolas Sarkozy, président en exercice du Conseil européen réitère chaque fois qu’il le peut, et plus encore à l’occasion de cette crise dont l’Europe subit les retombées, la nécessité à ses yeux d’une meilleure coordination des politiques économiques européennes. Mais il est d’autant plus mal placé pour l’exiger que la France ne respecte pas la discipline budgétaire que les 27 pays membres de l’Union se sont fixée. Il ne peut ignorer non plus la réticence des pays européens à l’adoption d’une stratégie économique commune. Le président de la République s’agace de l’orthodoxie monétaire défendue par Jean-Claude Trichet, mais il lui faut bien admettre que, dans le traitement de cette crise financière, le président de la Banque centrale européenne a été le seul et indispensable acteur européen et que son action n’a pas été sans efficacité pour garantir aux banques du continent les liquidités dont elles avaient besoin.

Le registre du non dit

Le président de la République se doit d’évaluer les conséquences probables de cette crise sur une économie française dont il ne peut plus guère dissimuler l’état déjà fort critique. D’une manière ou d’une autre, il se doit de formuler devant son auditoire, c’est-à-dire devant les Français, les réponses qu’il se propose de donner à la dégradation des finances publiques, à l’étiolement du pouvoir d’achat, au ralentissement de l’activité et au regain du chômage.

La vérité est que l’Exécutif est aujourd’hui placé entre le marteau et l’enclume. L’Etat, étant exsangue, n’a plus de levier pour opérer une relance de l’économie, sauf à laisser filer un peu plus encore le déficit public et à contredire l’engagement théorique de revenir à l’équilibre budgétaire d’ici à 2012. Le chef de l’Etat se refuse tout autant à parler de rigueur, sauf à risquer l’impopularité. Il hésite depuis des mois à dire crûment la vérité de la situation aux Français.

Or, il est évident que cette situation ne peut que se dégrader un peu plus dans les mois à venir. L’Etat va voir ses recettes fiscales diminuer fortement. La baisse de la consommation d’essence, donc des recettes de TIPP, la chute de l’activité, donc le fléchissement des rentrées de TVA et d’impôts sur les sociétés, sont autant de facteurs de manque à gagner pour l’Etat. Les effets différés, fussent-ils amortis, de la crise sur les banques de dépôts vont entraîner une restriction du crédit, ce qui ne va pas manquer de pénaliser par contre coup la consommation, l’immobilier et l’investissement des entreprises.

Nicolas Sarkozy s’est imprudemment autoproclamé le président du pouvoir d’achat. Celui-ci a chuté de 0,3% au deuxième trimestre. Le chef de l’Etat a promis d’aller chercher la croissance avec les dents. Celle-ci a été négative au deuxième trimestre de – 0,3% et notre pays pourrait bien être prochainement déclaré formellement en récession. Nicolas Sarkozy s’est engagé à baisser les impôts. Si l’on compare le montant des taxes supprimées et celui des taxes créées depuis un an et demi, le solde est positif : la somme des secondes est supérieure d’un milliard à la somme des premières. Nicolas Sarkozy va proclamer la poursuite, voire l’accélération des réformes au motif que les réformes d’aujourd’hui feront la prospérité de demain. Pour n’être pas dénué de sens, ce discours ne répond cependant pas aux difficultés présentes. Derrière ce propos bravache, se profile de plus en plus clairement, bien que non dite pour telle et inavouée, une politique de rigueur. Le temps des libéralités fiscales n’est plus. L’Etat va devoir se mettre à la diète pour ne point risquer la banqueroute pure et simple. Voilà qui rappelle le tournant de 1983 lorsque François Mitterrand fut contraint de choisir de fait la rigueur pour prévenir la faillite de l’Etat ou celui de l’automne 1995 quand Jacques Chirac dut se plier aux contraintes européennes pour prévenir une déroute financière.

Mais, hier comme aujourd’hui, cela semble aller sans dire et mieux encore, politiquement s’entend, en ne le disant surtout pas !