Nicolas Sarkozy : le discours de Munich

Extraits du discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Munich samedi 7 février 2009, à l’occasion de la Conférence sur la sécurité (Wehrkunde). Source : www.elysee.fr 

Nous sommes au 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. Certains avaient cru que nous étions entrés dans un « monde unipolaire ». Nous sommes dans un monde de « puissances relatives ». Cela, c’est le premier raisonnement autour duquel on doit organiser toutes nos stratégies. (…)

Une seule puissance ne peut pas régler les grands conflits du monde. Le XXIe siècle voit l’émergence de grandes puissances, qui disent : nous aussi on veut donner notre avis, nous aussi on compte, nous aussi on a des intérêts à défendre. D’ailleurs, nous avons besoin de ces nouvelles grandes puissances pour faire pression sur les belligérants et obtenir la paix.

Si l’on veut bien considérer que nous sommes rentrés dans le monde des « puissances relatives », cela veut dire que la première conséquence, c’est la nécessité de la solidarité et de la coopération. Quand il n’y a qu’une seule grande puissance, il n’y a pas besoin de coopération, il y en a un qui décide et les autres qui suivent. Quand il y a « des puissances relatives », alors il faut la solidarité et la coopération. Le XXIe siècle sera le siècle de la coopération et de la solidarité. C’est pourquoi, d’ailleurs, je suis tellement attaché à l’amitié avec les Etats-Unis d’Amérique. L’amitié en alliés indépendants et respectueux chacun de ses valeurs. L’histoire nous a appris quoi ? Qu’aucun Empire, fût-il le plus important, ne peut gagner contre l’aspiration à la liberté.

(…) Je crois à l’Europe et je crois à l’OTAN, mais ce n’est pas une auberge dont la porte est ouverte à tout vent et rentre celui qui a envie parce qu’il y a vu de la lumière. Rentre celui qui prêt à partager nos valeurs, à les défendre et à se soumettre lui-même à des obligations internes : la démocratie, régler ses problèmes internes avec ses minorités, et la vision qu’il a de l’avenir. J’ajoute : le partage du fardeau (…).

La Russie

Un mot sur la Russie. Il y a eu la crise du gaz, il y a eu la crise avec la Géorgie. Disons les choses comme elles sont : il y a une méfiance croissante entre l’Union européenne et la Russie. D’un côté, certains de nos membres ont une crainte vis-à-vis de la Russie. De l’autre, la Russie a la crainte historique de l’encerclement. Il faut restaurer la confiance. Je veux prendre mes responsabilités, je les prends. Je ne crois pas que la Russie d’aujourd’hui soit une menace militaire pour l’Union européenne et pour l’OTAN. Je sais que cela ne se fait pas, quand on est chef de l’Etat, d’affirmer une conviction et pourtant je choisis de le faire. Je ne crois pas que le premier risque de l’OTAN et de l’Union européenne, ce soit celui d’une agression militaire de la Russie. Je n’y crois pas. Je n’y crois pas pour un certain nombre de raisons et la première d’entre elles c’est que la Russie a tant de fantastiques défis intérieurs à relever que je ne la vois pas comme une menace directe sur l’OTAN et sur l’Europe. D’ailleurs, un pays qui a tant de problèmes avec sa démographie n’est pas un pays qui spontanément, et l’histoire nous le montre sur tous les continents, est porté à une agressivité militaire avec ses voisins.

J’ajoute qu’il serait quand même invraisemblable, avec tous les problèmes que porte le monde, que d’organiser une confrontation entre la Russie et l’Europe, alors même que nous avons la technologie et les capitaux, et que la Russie a l’énergie. Pour que les choses soient claires, la France est certainement le pays en Europe qui dépend le moins du gaz russe, puisque la France, grâce au nucléaire, est indépendante en matière d’énergie.

(…) On n’a jamais vu un fournisseur qui se fâche avec ses clients. On parle beaucoup de la dépendance de l’Europe, je n’ai jamais vu, dans le système qui est le nôtre, que ce soit le client qui doive remercier le fournisseur. Donc, il est urgent de restaurer la confiance entre la Russie et l’Union européenne. Urgent. On doit le faire d’abord en souhaitant que les États-Unis et la Russie concluent dès cette année un accord « post Start » sur la réduction de leurs arsenaux nucléaires.

La Russie doit poursuivre sa coopération avec l’Union européenne, et je prends mes responsabilités une nouvelle fois : je pense qu’un objectif serait qu’un jour, entre l’Union européenne et la Russie, nous construisions un espace économique et humain commun. Mais comment nous avons arrêté de nous faire la guerre – nous, les Français, les Allemands – si ce n’est en construisant un espace économique et humain commun. Pourquoi ce qui a été vrai entre les Allemands et les Français, et ce qui marche, ne le serait pas entre la Russie et l’Union européenne ? Un espace économique et humain commun, une perspective, ensemble. Naturellement, il faut refuser la dialectique, la menace. Dans la crise du gaz, il n’y a eu que des perdants. Que des perdants ! La Russie qui a perdu une partie de sa crédibilité. Je ne suis pas sûr que l’Ukraine soit sortie renforcée de tout ceci. Nous-mêmes, les Européens, je ne pense pas que nous en soyons également sortis renforcés. Une stratégie qui ne fait que des perdants, c’est une stratégie qui doit être abandonnée.

Puis, nous avons un autre dossier : l’Arctique. Le réchauffement climatique conduit à quoi ? L’ouverture de la route du Nord. On ne va pas faire de l’Arctique le nouveau territoire d’un conflit entre les Etats-Unis, la Russie et l’Union européenne, cela n’aurait absolument aucun sens. Je pense d’ailleurs qu’il faut prendre le Président Medvedev au mot. Lui demander ce qu’il entend dans son concept de sécurité paneuropéenne et en discuter ensemble. Car, après tout, la Russie comme l’Union européenne, comme les Etats-Unis, nous pourrions un jour être sous la menace des missiles d’un Etat terroriste. Nous avons tout intérêt à construire ensemble, après l’espace économique et l’espace humain, un espace de sécurité.

La France

Un mot sur la politique de défense de la France. Le monde change. La France change. Dès mon élection, j’ai lancé une vaste rénovation de notre politique de défense et de sécurité. On maintient notre effort. Je tiens à vous le dire, d’ici 2020, nous allons consacrer 377 milliards d’euros à nos armées. Nous garderons notre puissance nucléaire de dissuasion aux côtés des Anglais, avec qui nous voulons d’ailleurs travailler main dans la main. Comment imaginer que les deux seules puissances nucléaires militaires d’Europe ne travaillent pas ensemble ? J’étais très heureux de la décision courageuse du gouvernement anglais et de Gordon Brown de réfléchir et de travailler sur une politique de défense. Comment imaginer faire l’Europe et que les deux puissances nucléaires militaires ne se parlent pas, ne travaillent pas ensemble. Cela posera d’ailleurs, dans l’avenir, la question de la complémentarité entre ces puissances nucléaires, forcément indépendantes, et la sécurité de l’Europe dans son ensemble. La France donc restera une puissance militaire nucléaire.

L’Europe

Et puis il y a l’Europe de la Défense. Parlons clair là aussi. L’Europe de la Défense est une priorité. Nous avons, avec Angela Merkel, écrit un article ensemble. Nous voulons travailler avec les Allemands pour en faire une priorité militaire et une priorité politique. Je le dis à tous les Européens, c’est un test. C’est un test pour l’Europe. L’Europe veut-elle la paix ou veut-elle qu’on la laisse en paix ? Je souhaite que vous réfléchissiez là-dessus. Voulez-vous la paix ou voulez-vous que l’on vous laisse en paix ? Ce n’est pas la même politique, ce n’est pas la même stratégie, ce ne sont pas les mêmes conséquences. Si vous voulez la paix, vous devez vous donner les moyens d’exister comme une puissance économique, financière, politique, militaire. Si vous voulez qu’on vous laisse en paix, faites-vous tout petit, restez dans vos coins, cachez-vous les yeux, bouchez-vous les oreilles, ne parlez pas trop fort et pendant un temps, on vous laissera en paix. Jusqu’au moment où l’on découvrira que vous n’avez pas les moyens d’assurer vous-mêmes votre défense. Mais à ce moment là, il sera trop tard. Tout le monde a intérêt à une Europe de la Défense. Vous les Européens de l’Est, enfin revenus dans la famille, qui devez apporter votre contribution, pour assurer notre sécurité.

La France et l’OTAN

(…) Dans mon esprit l’Europe ce n’est pas simplement un marché, ce n’est pas simplement de l’économie, c’est aussi des valeurs. Alors connaissez-vous une région du monde qui peut être riche sans assurer sa défense ? Connaissez-vous une organisation du monde qui peut porter des valeurs et demander aux autres de les défendre ? Dans mon esprit les choses sont claires : c’est l’Europe de la Défense et l’OTAN, pas l’Europe de la Défense ou l’OTAN. Les deux ensemble. C’est parce que l’on renforcera l’Europe de la Défense qu’il faudra renforcer l’OTAN. Ce fut une grande erreur que d’affaiblir l’un en pensant renforcer l’autre. J’assume ce choix politique qui n’est pas un choix si facile en France jusqu’à présent.

Je dois d’ailleurs dire que cela va de pair pour moi avec un approfondissement de la relation avec l’Allemagne, notre alliée, notre amie. La « brigade franco-allemande » avait été créée par François Mitterrand et Helmut Kohl. Angela Merkel et moi, nous souhaitons qu’il n’y ait plus de tabou, nous souhaitons l’évolution. La France serait donc heureuse d’accueillir sur son territoire un bataillon de l’armée allemande. Je pense qu’au XXIe siècle, il est vraiment temps de tourner la page. Mes chers amis, l’amitié entre la France et l’Allemagne, je le dis ici, ce n’est pas que la France mette des soldats en Allemagne, c’est que la France soit honorée d’avoir des soldats allemands sur le territoire de la République française. C’est cela l’amitié entre la France et l’Allemagne. C’est cela la nouvelle étape, la construction d’un nouveau contexte. C’est un acte historique. Je suis très fier que le Sommet de l’OTAN, on l’organise ensemble.

(…) L’OTAN a beaucoup changé. Mais ce qui ne change pas, c’est le pacte fondamental qui nous unit depuis le Traité de Washington. Franchement, je n’aurais jamais pensé que l’article 5 soit utilisé par tous les Alliés au service des Etats-Unis d’Amérique. Quant les Etats-Unis ont été attaqués, c’est tout l’OTAN qui s’est retrouvée aux côtés des Etats-Unis.

Franchement, qui aurait dit avant 2001 que la première fois que l’article 5 serait mis en vigueur, ce serait pour défendre les Etats-Unis d’Amérique ? Nous continuerons dans ce sens là. Je veux d’ailleurs vous dire, pour en terminer que la France a souvent été soupçonnée de vouloir affaiblir l’OTAN. C’est injuste, mais c’était ainsi. C’était d’autant plus ridicule qu’en même temps que la France était soupçonnée de vouloir affaiblir l’OTAN, la France y prenait de plus en plus de place. Plus on disait qu’on n’était pas dedans, plus on y était ! En France, on faisait croire que l’OTAN était une menace pour notre indépendance. Et personne ne se demandait pourquoi nous étions les seuls à nous poser la question. Moi, je ne ferai jamais rien qui mette en cause l’indépendance de mon pays. Jamais ! Mais l’alliance avec les Etats-Unis et l’alliance avec l’Europe ne mettent pas en cause l’indépendance de mon pays, elles renforcent l’indépendance de mon pays. Voilà ce que j’expliquerai aux Français le moment venu. Ce moment approche. Ma conviction, c’est que la France peut rénover ses relations avec l’OTAN en étant un allié indépendant, un partenaire libre des Etats-Unis.

(…) L’Amérique que nous aimons, c’est l’Amérique qui défend ses valeurs, qui défend et pratique les droits de l’Homme. Je puis vous dire que tous les Européens ont été soulagés de la décision qu’a prise le Président Obama à la suite de cette question de Guantanamo.

(…) D’ici au Sommet de Strasbourg/Kehl, nous aurons un débat en France. C’est un débat que je conduirai, comme toujours, avec l’esprit de franchise et de droiture vis-à-vis du peuple français. Nous avons des amis, nous avons des alliés, je connais ma famille, je sais où sont les valeurs que nous devons défendre, fidèles à l’idéal de la République française. Il est sans doute temps de revoir la stratégie de l’OTAN et pour la France et l’Allemagne d’en tirer un certain nombre de conséquences. Croyez-bien que d’ici au mois d’avril, nous essayerons d’être au rendez-vous d’une grande ambition pour la famille qui est la nôtre.