Noëlle Lenoir : « Les Allemands sont devenus eurosceptiques »

Noëlle Lenoir, ancienne ministre déléguée aux affaires européennes, voit dans l’affaiblissement du couple franco-allemand la principale cause des difficultés de l’Europe. Elle appelle à la naissance d’un gouvernement européen fondé sur le fédéralisme, c’est-à-dire sur le transfert de nouveaux pouvoirs et sur une gouvernance politique. 

Ancienne ministre déléguée aux affaires européennes dans le gouvernement Raffarin, sous la présidence de Jacques Chirac, Noëlle Lenoir s’inquiète des difficultés que traverse le couple franco-allemand et qui expliquent, selon elle, la relative impuissance de l’Europe face à la crise de l’euro. « Il ne faut pas se voiler la face, a-t-elle déclaré samedi 16 juillet sur Fréquence protestante. Les Allemands sont devenus eurosceptiques, presque autant que les Britanniques. Ils se sont détachés de l’Europe ». Pour Noëlle Lenoir, Angela Merkel, malgré ses efforts, « aura de plus en plus de mal à surmonter l’opposition de l’opinion publique, qui se reflète au Bundestag ». C’est, dit-elle, « un des faits les plus importants, et les plus inquiétants, de la période actuelle ».

Les divergences franco-allemandes sont-elles l’une des principales raisons pour lesquelles l’Union européenne a tant de mal à s’entendre sur un plan d’aide à la Grèce ? « C’est la cause unique des difficultés », répond-elle. Elle estime que la solidarité entre les Etats membres est impérative. « Même si l’Italie du Nord regimbe lorsqu’il s’agit de payer pour ceux qu’elle appelle les feignants du Sud, même si des luttes intestines opposent les Flamands et les Wallons, même si une certaine forme de régionalisation se dessine en Espagne, souligne-t-elle, cela se passe dans un même pays. Cela ne peut pas se passer comme cela en Europe. Si chacun fait ce qu’il veut, cela va exploser ».

L’élection d’un gouvernement européen

Selon Noëlle Lenoir, la seule réponse possible est celle d’une Europe politique. « Peut-être face à l’abîme les Européens vont-ils enfin se décider », dit-elle. Pour elle, l’heure de vérité est venue : soit l’Europe bascule vers plus de convergence et plus de fédéralisme, soit elle s’expose aux pires dangers. Par fédéralisme, Noëlle Lenoir entend à la fois le transfert de pouvoirs sur des sujets ciblés, comme le propose la Commission avec son projet d’impôt européen sur les transactions financières, et la gouvernance au sommet. « Il faudrait essayer de penser à une véritable gouvernance politique », dit-elle, avant d’inviter les responsables politiques à « réfléchir à un mode d’élection d’un gouvernement européen, avec des campagnes électorales européennes, et non pas nationales, comme pour l’élection du Parlement européen ».

Noëlle Lenoir regrette en particulier que la Commission ait perdu une partie de sa « force motrice politique » au bénéfice des Etats. Ministre déléguée aux affaires européennes de 2002 à 2004, elle pense qu’on était alors à « une période charnière ». « C’était l’après-Delors, explique-t-elle, ce n’était pas encore la montée en puissance des Etats ». Ceux-ci ont « repris la main » d’une façon qu’elle juge préjudiciable à la construction européenne. Elle désapprouve la création d’une présidence stable du Conseil européen, qui accentue l’effacement de la Commission.

Pour un leadership franco-allemand

Noëlle Lenoir note aussi qu’à l’époque de Jacques Delors « l’absence réelle de pouvoir politique central était suppléée par le franco-allemand ». Jacques Delors, rappelle-t-elle, a été un des artisans de l’entente franco-allemande. Il voyait régulièrement François Mitterrand et Helmut Kohl afin de construire des compromis. Le couple Chirac-Schröder a fonctionné de la même manière, dit-elle, mais sans la Commission. « Je pense que l’Europe sera fondée sur des compromis et sur un leadership franco-allemands ou qu’elle ne sera pas », affirme-t-elle. Pour elle, « le franco-allemand est le number one de la construction européenne ».

Pour Noëlle Lenoir, la difficulté est « générationnelle » : « les dirigeants européens d’aujourd’hui n’ont pas vécu la guerre ni la naissance de l’Europe ni l’esprit même de l’Europe, qui n’est pas seulement un lieu de négociations mais un projet d’inspiration fédérale ». Jacques Chirac, dont elle a été la ministre, était-il un Européen convaincu ? Il a appelé à voter pour le traité de Maastricht, note-t-elle, parce qu’il savait qu’on ne peut pas prétendre assumer les fonctions de président de la République si on est contre l’Europe. Mais il considère l’Europe surtout « comme un lieu de négociations entre les grands Etats ». Quant à Nicolas Sarkozy, il lui semble « plus mondial qu’Européen ».

L’ancienne ministre, qui préside le Cercle des Européens, un club de réflexion consacré à l’Europe, compte sur les nouvelles générations pour relancer l’idée européenne. « Les jeunes d’aujourd’hui se sentent Européens, prêts pour une Europe plus politique, dit-elle. Un terreau existe pour que les générations à venir ne puissent plus se concevoir dans le cadre d’un seul Etat. Je crois qu’elle feront ce pas. L’identité européenne existe, mais elle n’est pas assez revendiquée par les politiques ».

Cet entretien, diffusé le 16 juillet dans l’émission Parcours européen, peut être écouté dans son intégralité sur le site www.frequenceprotestante.com