En dépit des critiques dont font l’objet les décisions prises par les Vingt-sept, la désignation du quatuor appelé à gouverner l’Union européenne pendant les prochaines années peut être considérée comme un succès diplomatique. Après l’élection du président du Parlement il y a quelques mois – le Polonais Jerzy Buzek – et la nomination, plus récemment, de celui de la Commission – le Portugais José Manuel Barroso - , deux postes restaient à pourvoir : celui de la présidence stable du Conseil européen, prévue par le traité de Lisbonne, et celui du haut représentant pour la politique étrangère, appelé à devenir en même temps vice-président de la Commission.
Un exercice difficile
Les Vingt-Sept ont réussi à se mettre d’accord, sans tergiversations ni déchirements inutiles, sur les noms du Belge Herman Van Rompuy et de la Britannique Catherine Ashton. Mission accomplie : le traité de Lisbonne peut désormais entrer en vigueur. L’exercice était difficile : il fallait en effet respecter un subtil équilibre entre divers paramètres.
Le choix des Vingt-Sept devait satisfaire à la fois les grands et les petits Etats, assurer une représentation équitable des anciens et des nouveaux membres, contenter les pays du Sud, du Nord et de l’Est, faire une place aux sociaux-démocrates malgré la large domination des conservateurs et permettre la nomination d’au moins une femme parmi les nouveaux dirigeants. La multiplicité des critères rendait particulièrement ardue la tâche des chefs d’Etat et de gouvernement. Ils s’en sont acquittés avec habileté.
Un homme de compromis
Avec le Belge Herman Van Rompuy, c’est un homme de compromis, bon négociateur et Européen convaincu, issu d’un des six pays fondateurs, qui sera chargé, en occupant la nouvelle fonction de président stable du Conseil européen, de « faciliter la cohésion et le consensus », selon les termes du traité de Lisbonne, tout en assurant la représentation extérieure de l’Union.
La candidature de Tony Blair, contestée par une partie des Etats membres, a été écartée. Le premier président stable du Conseil européen ne pouvait être issu d’un pays qui n’adhère ni à l’euro ni à l’espace Schengen, estimaient ses opposants, qui reprochaient également à l’ancien premier ministre britannique d’avoir été l’un des principaux soutiens de George W. Bush lors de l’intervention américaine en Irak. M. Van Rompuy échappe à ces critiques. Son rôle de premier ministre belge lui confère l’image d’un conciliateur. Après tout, il n’est pas illogique que le poste hautement symbolique de président du Conseil européen revienne au pays qui accueille les institutions communautaires.
Femme et social-démocrate
La désignation de Catherine Ashton, actuelle commissaire européenne au commerce extérieur, au poste de haut représentant était moins attendue. Mais à partir du moment où l’actuel chef de la diplomatie britannique, David Miliband, pressenti, se récusait, le choix de Mme Ashton s’imposait presque, puisque la fonction était promise aux sociaux-démocrates et que, de surcroît, les Vingt-Sept souhaitaient qu’une femme figurât parmi les nouveaux dirigeants. La candidature de la Lettone Vaira Vike-Freiberga à la présidence stable de l’Union n’ayant pas été retenue, celle de Mme Ashton au poste de haut représentant apparaissait comme une bonne solution de rechange. Pour les Européens, cette désignation est à la fois un hommage à la diplomatie britannique et une façon de mieux ancrer la Grande-Bretagne dans l’Union.
Le secrétariat général attribué à un Français
Avec le Polonais Jerzy Buzek à la présidence du Parlement et le Portugais José Manuel Barroso à celle de la Commission, l’Europe de l’Est et l’Europe du Sud sont également représentées à la tête des institutions européennes. En même temps, ces deux hommes incarnent, avec M. Van Rompuy, la majorité conservatrice issue des élections européennes.
Ajoutons que la France n’est pas oubliée dans la distribution des postes puisqu’elle obtient le secrétariat général du Conseil européen, attribué au diplomate Pierre de Boissieu, qui occupait jusqu’à présent la fonction de secrétaire général adjoint. M. de Boissieu occupera auprès de M. Van Rompuy la gestion globale de l’institution, ce qui lui donnera un rôle non négligeable.
Des dirigeants relativement effacés
Reste la déception de ceux qui auraient préféré la désignation aux postes-clés de l’Union de personnalités plus connues sur la scène internationale et dotées d’une plus grande autorité en Europe. Après M. Barroso, jugé trop timide face aux gouvernements des Etats membres, M.Van Rompuy et Mme Ashton donnent l’image de dirigeants relativement effacés ou, en tout cas, au leadership peu apparent, dont on imagine mal qu’ils se montrent capables de redynamiser l’Union et de d’améliorer sa visibilité. L’Europe a choisi de faire profil bas, au risque de mécontenter ses fidèles. L’avenir dira si cette prudence équivaut à un aveu d’impuissance ou si elle constitue une tactique efficace pour faire avancer l’Union.