Non M. Fillon, l’annexion de la Crimée n’a rien à voir avec le Kosovo

Comme il fallait s’y attendre pour le déplorer, la partie consacrée à la situation internationale a été réduite à la portion congrue dans le débat qui a opposé, le lundi 20 mars sur TF1, les cinq principaux candidats à l’élection présidentielle française. Elle n’a pas permis une véritable discussion mais elle a laissé entrevoir des différences dans les positions respectives des candidats. Accents européens chez Emmanuel Macron et Benoit Hamon contrastant avec le souverainisme de Marine Le Pen et la prudence de François Fillon qui a glissé, dans le brouhaha, être hostile à une Europe de la défense, généreuse déclaration pacifiste de Jean-Luc Mélenchon. Evoquée plus qu’assumée, la relation à la Russie est une ligne de partage.

"Rétablir la confiance"

La liste des menaces qui pèsent sur la France contient généralement trois éléments : l’incertitude créée par l’élection de Donald Trump, le terrorisme islamique et les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. Il n’est pas indifférent qu’un des principaux candidats à l’élection présidentielle, représentant la droite de gouvernement dans la compétition actuelle, ait omis la Russie dans son énumération. Lundi soir, François Fillon est resté fidèle à sa position traditionnelle.
S’il ne le dit pas ouvertement, le « dialogue avec la Russie » passe, pour lui, par une acceptation des menées russes en Syrie et en Ukraine. Benoit Hamon a rappelé que pour dîner avec le diable il fallait avoir une grande cuiller, autrement dit pour parler avec Vladimir Poutine il fallait s’appuyer sur une force crédible. Mais il n’a pas réussi à faire dire à François Fillon qu’une coopération avec Bachar el-Assad pour régler le conflit syrien était exclue.

Les mêmes objectifs ?

Car le candidat de la droite et du centre tire de l’échec de la politique syrienne de François Hollande et des autres gouvernements occidentaux la conclusion qu’il eut fallu s’entendre avec la Russie. Avec qui nous partageons les mêmes objectifs, ajoute-t-il. Ce qui reste à démontrer.
Mais la Syrie ne représente qu’un sujet parmi d’autres sur lesquels il conviendrait, selon François Fillon, de nouer une « relation de confiance » avec la Russie. Dans ce but, il est prêt à accepter l’annexion de la Crimée et à lever les sanctions contre la Russie, à l’instar de nombre de ses amis politiques. Comme pour justifier la démarche unilatérale de Vladimir Poutine qui, il y a trois ans, a décidé de reprendre le contrôle de la péninsule donnée à l’Ukraine par Khrouchtchev en 1956, le candidat qui se réclame volontiers du gaullisme a repris le parallèle avec l’action occidentale au Kosovo. En Crimée, les Russes n’auraient fait qu’imiter les Occidentaux accordant l’indépendance à la province de Serbie.

Un long processus

C’est faire peu de cas des différences de situation. Au Kosovo, la majorité d’origine albanaise était favorable à l’indépendance. Au contraire, avec l’’annexion de la Crimée, une puissance s’est emparé du territoire d’un pays voisin. L’affaire a été menée au pas de charge, en quelques semaines, avec la présence de troupes russes plus ou moins camouflées, et conclue par un référendum organisé à la hâte. Dans le Mémorandum dit de Budapest, en 1994, la Russie s’était pourtant engagée à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine en échange de la renonciation par celle-ci à ses armes nucléaires, engagement réitéré en 1997 dans le traité d’amitié et de coopération russo-ukrainien.
L’indépendance du Kosovo est au contraire l’aboutissement d’un long processus, dernier maillon de l’éclatement de la Yougoslavie. La cause immédiate était l’opposition à la volonté de Slobodan Milosevic, le leader nationaliste serbe, de réunir les Serbes dans une « Grande Serbie » mais la marche vers l’indépendance a duré plus de dix ans.
Les mises en garde de la communauté internationale, y compris de la Russie alors dirigée par Boris Eltsine, se sont multipliées à l’égard de Milosevic qui, à partir de 1989, a aggravé la répression contre les Kosovars luttant, y compris pacifiquement, en faveur de l’autonomie puis de l’indépendance. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, avec l’abstention voire parfois l’approbation de Moscou, ont menacé du recours à la force si Belgrade ne retirait pas ses troupes de la province, en particulier à la fin de 1998.
S’il n’y a pas eu d’autorisation formelle du Conseil de sécurité pour les bombardements de l’Otan sur la Serbie, à partir de mars 1989, la menace d’une intervention était contenue dans plusieurs résolutions de l’ONU et plusieurs séries de négociations diplomatiques avaient eu lieu auparavant pour tenter de résoudre le conflit par le dialogue.

Le refus russo-serbe de négocier

La guerre a duré trois mois, de mars à juin 1999, et s’est terminée par le vote à l’unanimité de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce texte reconnaissait l’intégrité territoriale de la Serbie et dotait le Kosovo d’un « statut intérimaire ». Elle autorisait d’autre part le déploiement d’une force internationale. L’évolution de ce « statut intérimaire » a conduit à l’indépendance du Kosovo, scellée seulement à l’issue d’interminables négociations.

Cette solution ayant été rejetée par Belgrade et par Moscou, un groupe de contact a été créé réunissant tous les protagonistes dans le but de trouver un compromis acceptable par toutes les parties. Cette tentative a échoué parce que la Russie n’a jamais vraiment cherché à négocier.
L’indépendance du Kosovo n’a été proclamée qu’en 2008, soit près de dix ans après l’intervention contre la Serbie. Et c’est seulement en 2012 que le Kosovo a obtenu sa pleine souveraineté. Rien à voir avec la Blitzkrieg menée par Vladimir Poutine en Crimée, ou six ans plus tôt en Ossétie du sud et en Abkhazie pour arracher ces provinces à la Géorgie et les annexer de facto à la Russie.

De Gaulle et Moscou

Dans un article de la revue Commentaire (n°156, Hiver 2016-2017), Henri Froment-Meurisse, ancien ambassadeur de France à Moscou, montre comment le général De Gaulle fit preuve de fermeté vis-à-vis de l’URSS dans toutes les grandes crises de la guerre froide : « S’il [De Gaulle] souhaitait ardemment se bien entendre avec les dirigeants [soviétiques], car cela était ‘dans la nature des choses ‘, il savait aussi leur dire non et même les condamner lorsqu’à son avis ils avaient franchi la ligne rouge », écrit-il. A méditer pour tous ceux qui se réclament aujourd’hui du gaullisme.

Post-scriptum du 22 mars : cet article a été rédigé avant les révélations du Canard enchaîné sur le contrat passé par François Fillon et un homme d’affaires libanais pour que ce dernier puisse rencontrer Vladimir Poutine grâce à l’entremise de l’ancien premier ministre français.