Nouveaux équilibres politiques à Berlin

La chancelière allemande Angela Merkel a annoncé le 24 octobre 2009 la formation d’un gouvernement de coalition de centre-droit après un accord entre son parti, l’Union chrétienne démocrate (CDU et alliés bavarois de la CSU), et les libéraux du FDP. L’accord prévoit notamment des baisses d’impôts et une réforme du système de santé. Les élections législatives du 27 septembre ont mis fin à quatre ans d’une difficile "grande coalition" entre la CDU-CSU et les sociaux-démocrates du SPD, ces derniers ayant enregistré une défaite historique après onze ans au gouvernement. Analyse des nouveaux rapports de force politiques allemands.

La chancelière Angela Merkel devant le Congrès américain – quelle belle image ! C’est la première fois depuis Konrad Adenauer qu’un chef du gouvernement allemand est invité à parler aux représentants et aux sénateurs américains. Le début du gouvernement Merkel II ne pouvait mieux commencer. Bises avec Nicolas Sarkozy à Paris le soir même de sa réinstallation, bises avec les 26 autres chefs d’Etats de de gouvernement de l’UE à Bruxelles le jour après et maintenant bises avec Barack Obama à Washington et discours solennel devant les représentants du „pays propre à Dieu“ (God’s Own Country) avant que le sommet UE-USA ait lieu. Forte de sa réélection, Mme Merkel est saluée chaleureusement par ses partenaires étrangers et continue son travail. C’est la vue de l’extérieur. 

Pour elle, une chose seulement a changé : au lieu de son partenaire de nécessité, le SPD et son vice-chancelier Frank-Walter Steinmeier, son rival, avec qui elle ne s’entendait pas si mal, elle se retrouve maintenant avec, à ses côtés, son partenaire de choix, le FDP et son nouveau vice-chancelier Guido Westerwelle, qu’elle a du mal à convaincre que tout doit continuer comme avant.

Vue de l’intérieur, la nouvelle coalition „noire-jaune“ promet déjà quelques belles batailles politiques. La grande réforme fiscale, tant propagée par le FDP depuis les années 90, est annoncée pour 2011 „si possible“. Mais le nouveau ministre des finances, Wolfgang Schäuble, a déjà fait savoir qu’il fallait d’abord voir ce qui est possible, étant donné que la crise économique et financière est loin d’être derrière nous. Et les chefs de gouvernement CDU des Länder ont élevé la voix contre des baisses d’impôts trop importantes, ce qui ne serait „pas sérieux“. 

Schäuble n’est pas n’importe qui. Dans le système allemand, le ministre des finances dispose d’un droit de veto en ce qui concerne les lois de finances et toute loi engageant des dépenses. Il est le seul ministre disposant d’un tel pouvoir. Et Wolfgang Schäuble sera un ministre des finances fort, le plus fort peut-être depuis longtemps. L’ancien dauphin du chancelier Kohl, l’ancien chef du groupe parlementaire CDU/CSU, l’ancien président de la CDU n’est pas quelqu’un qui, à l’age de 67 ans, n’a plus rien à prouver. Et Mme Merkel n’a pas la même influence sur lui, le doyen du gouvernement, que sur les autres ministres. Bref, un message clé du FDP (et de la CSU bavaroise, d’ailleurs), sera très vite mis en question par le ministre le plus fort du gouvernement Merkel II et par les concurrents de la chancelière, les ministres-présidents devenus plus puissants, les plus importants étant aussi vice-présidents de son parti, la CDU.

Un deuxième dossier va très vite mettre à l’épreuve le mariage de ce couple d’amour politique : la santé. La chancelière (soutenue par la CSU, cette fois-ci) ne veut pas changer grand chose au système mis en place par la grande coalition, le „fonds pour la santé“, un compromis bien compliqué après de longues négociations laborieuses. Le FDP et son très jeune ministre de la santé, Philippe Rösler, voudrait tout simplement l’abolir. Là aussi, il est difficilement envisageable d’imaginer des gagnants politiques des deux côtés. Ou bien la chancelière imposera au final sa position, et le ministre en charge, le plus jeune de son gouvernement, n’ira pas très loin. Ou bien le ministre réussira son coup et la chancelière en sortira affaiblie.

Ces deux cas très lourds mis à part, le programme de gouvernement ne pose pas problème. Mais il n’incite pas non plus à l’enthousiasme. Dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, une période plus intéressante s’annonce. Affaires étrangères et défense sont gérés, désormais, par de nouveaux ministres. Guido Westerwelle, le chef du FDP, a repris le ministère qui a été dirigé, avant 1998, pendant 29 ans par des ministres du FDP, dont 17 ans par le seul Hans-Dietrich Genscher. Fort du soutien de Genscher en personne, Westerwelle doit, pourtant encore faire ses marques dans ce domaine. Il est et restera toujours dans l’ombre de la chancelière qui continuera à déterminer les grands sujets de la politique étrangère de l’Allemagne. A la défense, le plus jeunes des ministres CDU/CSU, le baron Karl-Theodor zu Guttenberg, dispose d’un grand avantage : il a été expert de son groupe parlementaire pour les questions de politique étrangère et de sécurité avant d’être appelé, il y a un an seulement, comme secrétaire général de la CSU d’abord, ensuite comme ministre fédéral de l’économie – deux positions qui ont fait de lui le ministre le plus populaire du gouvernement précédent. Ce „shooting star“ du camp politique de la chancelière va être très présent sur le terrain de la politique internationale. Il le sera d’autant plus qu’il est bien connu dans la communauté internationale des experts. On se souvient des joutes politiques entre les ministres Klaus Kinkel (FDP, affaires étrangères) et Volker Rühe (CDU, défense) au temps du chancelier Kohl. Avec Karl-Theodor zu Guttenberg, Mme Merkel s’est assurée d’un excellent atout pour aller jouer sur la scène du ministre Westerwelle.

Il faut, bien évidemment, laisser à la nouvelle coalition le temps d’agir avant de pouvoir la juger. Mais d’ores et déjà, on ne peut s’empêcher de penser à 2013, la prochaine échéance électorale fédérale (avant les élections régionales en Rhénanie du Nord-Westphalie en mai 2010, rien d’important au plan intérieur ne sera fait). Avec un SPD qui s’occupera de lui-même pendant assez longtemps, et avec un FDP qui va bientôt commencer sa décrue, la chancelière, mais aussi ses concurrents au sein de la CDU, auront, devant eux, le champ libre pour positionner plus solidement la CDU —qui, il ne faut pas l’oublier, a obtenu son plus mauvais résultat depuis 1949. Le bon score du FDP, par contre, dû aux désenchantés „bourgeois“ d’une CDU „social-démocratisée“ en Grande Coalition, ne va pas tenir. Guido Westerwelle, l’apprenti ministre des affaires étrangères, doit déjà penser aux moyens d’adoucir la défaite future du FDP.