Le sommet de Strasbourg/Kehl sera l’occasion de lancer la réflexion sur le nouveau « concept stratégique » de l’OTAN. Plusieurs événements nourrissent le débat : l’élection de Barack Obama, le retour annoncé de la France dans le commandement intégré de l’organisation, les difficultés de l’Alliance en Afghanistan ou encore la récente crise géorgienne, qui conduit à se demander ce qu’aurait fait l’OTAN en réponse à l’intervention russe si la Géorgie en avait été membre.
La question du rôle et des missions de l’OTAN, née il y a soixante ans sur les décombres de la seconde guerre mondiale, est désormais au centre de l’attention de la communauté internationale.
Quand une entreprise est en difficulté sur un marché, elle a le choix entre trois solutions, a expliqué Pascal Boniface, directeur de l’IRIS. Soit elle ferme boutique, soit elle tente d’élargir son marché, soit elle diversifie sa production. L’OTAN, après la fin de la guerre froide, n’a pas fermé boutique, mais elle a étendu son champ d’intervention, en se substituant parfois à l’ONU, et diversifié ses missions.
N’est-elle pas allée trop loin dans cette direction, au risque de dévoyer sa raison d’être ? N’a-t-elle pas été tentée, comme l’a noté Frédéric Charillon, directeur du Centre d’études en sciences sociales de la défense, d’endosser le rôle de « justicier sans frontières », sous l’influence des néo-conservateurs américains ?
Cette évolution, Hubert Védrine la refuse catégoriquement. Il en tire argument pour s’opposer au retour de la France dans les structures militaires de l’OTAN. L’ancien ministre des affaires étrangères s’inquiète d’un « engrenage » qui transformerait l’organisation en « bras armé d’une sorte de Sainte-Alliance occidentale » sous direction américaine.
Les officiels français affirment que la réintégration de la France dans la chaîne de commandement lui permettra de peser sur les décisions de l’Alliance, soit en son nom, soit au nom de l’Union européenne. M. Védrine n’y croit pas. Le retour de la France, dit-il, « n’a pas été préparé dans cet esprit ni négocié dans ce sens ». Quant à la défense européenne, elle n’est pour lui qu’un « leurre sympathique mais marginal », qui ne saurait justifier le réalignement français.
La question centrale, dit-il, est celle du mode de décision au sein de l’Alliance, qui assure l’hégémonie américaine. Le général De Gaulle, rappelle-t-il, a essayé de le modifier avant de se résoudre à sortir du commandement intégré. Si la France doit y retourner, allons jusqu’au bout et demandons, au bénéfice de l’Europe, une alliance à deux piliers, selon Hubert Védrine.
En attendant, la plupart des intervenants ont invité l’Alliance à recentrer ses objectifs. Lolyon Howorth, professeur à l’Université Yale, l’a comparée à un « albatros ». « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher », a-t-il ajouté, citant Baudelaire. Même si les nouvelles menaces sont multiples - allant du terrorisme à la cybercriminalité, en passant par les incertitudes de l’approvisionnement énergétique et les conséquences du réchauffement climatique -, l’OTAN n’a pas vocation à répondre à toutes.
Comme l’a souligné Alvaro de Vasconcelos, directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’UE (ISS), l’Alliance est dans son rôle lorsqu’elle intervient dans les Balkans ou aux frontières de la Turquie, mais il ne lui appartient pas de tenter de régler des questions globales, qui appellent des réponses politiques ou sociales et non sécuritaires, comme les migrations ou la crise alimentaire. L’OTAN, selon lui, ne doit pas non plus contribuer à aggraver la bipolarisation entre l’Occident et la Russie. Sa priorité est de veiller à la sécurité de l’espace euro-atlantique. Rien de plus, rien de moins. L’Afghanistan, concède-t-il, est un cas à part. Mais il est temps pour l’Alliance d’engager le débat sur ce qu’elle doit faire et surtout sur ce qu’elle ne doit pas faire.