OTAN : trois épreuves de vérité pour la France

Selon Nicolas Sarkozy, le retour de la France dans les structures militaires de l’OTAN aurait le triple avantage de favoriser une avancée de la défense européenne, de permettre une européanisation de l’OTAN et d’amener la France à codéfinir avec les Etats Unis les grandes orientations stratégiques de l’OTAN. Il reste à vérifier, dans les mois et dans les années à venir, si les faits donnent raison à Nicolas Sarkozy et si les arguments avancés par le chef de l’Etat pour justifier son choix sont avérés. 

Nicolas Sarkozy annoncera officiellement le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’Alliance atlantique lors du sommet de l’Otan marquant son soixantième anniversaire, les 3 et 4 avril, à Strasbourg et Kehl (Allemagne). Quarante-trois ans après le geste du général de Gaulle claquant la porte du commandement militaire intégré, le 7 mars 1966, la France opérera donc son grand retour dans l’OTAN allant ainsi jusqu’au bout d’un processus de rapprochement déjà engagé par François Mitterrand puis par Jacques Chirac.

Débat étouffé

A peine ouvert, le débat est donc déjà clos. En autorisant le gouvernement à engager sa responsabilité sur ce retour dans l’Otan en particulier mais aussi sur l’ensemble de sa politique étrangère, le chef de l’Etat coupe l’herbe sous les pieds des gaullistes et des chiraquiens qui, au sein de la majorité, contestent l’opportunité d’un retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN. Minoritaire, la gauche ne pourra mettre en échec le Premier ministre sur ce sujet. Le vote sur la responsabilité n’aura eu d’autre objet que d’expédier et d’étouffer un débat qui, en ces temps de crise économique, ne passionne guère l’opinion.

Il n’y aura pas de retour en arrière. On n’imagine pas, dans les décennies à venir, un président français, sauf situation tout à fait exceptionnelle, décider de laisser à nouveau une chaise vide au sein du commandement militaire de l’OTAN. Une telle démarche donnerait de notre pays une image de profonde incohérence.

A première vue, ce retour, à la fois pratique et symbolique, ne changera pas grand-chose à la situation présente. La France va hériter de deux commandements : celui de Norfolk, connu sous l’intitulé Allied Command Transformation qui a pour tâche  d’aider à définir la doctrine de l’Alliance et le commandement opérationnel interarmées de Lisbonne en charge de l’Afrique et de la force de réaction rapide (NRF). Si le premier relève de la seule réflexion, le second demeure soumis au commandement  opérationnel suprême, le SACEUR, qui reste entre les mains d’un général américain. En d’autres termes, la décision continuera sans doute d’appartenir en dernier ressort aux Etats-Unis et la France continuera, comme par le passé, à être l’un des principaux contributeurs financier et militaire de l’OTAN !

Les mirages de la défense européenne

Officiellement, la décision de réintégrer les structures militaires de l’OTAN aurait le triple avantage de favoriser une avancée de la défense européenne, de permettre une européanisation de l’OTAN et d’amener la France à codéfinir avec les Etats Unis les grandes orientations stratégiques de l’Alliance.

Le premier bénéfice annoncé est dénué de toute crédibilité avant même qu’ait pris effet le retour de la France dans l’OTAN. Il faut en effet se souvenir qu’un progrès de la défense européenne a d’abord été mis par Nicolas Sarkozy comme une condition du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique. Il a ensuite été présenté plus modestement comme un effet conjoint de cette réintégration. Le chef de l’Etat n’en parle plus aujourd’hui que comme une conséquence espérée. Autant dire que lui-même n’en est nullement convaincu. Il sait fort bien que la plupart des membres européens de l’OTAN se satisfont pleinement du système actuel et qu’aucun d’entre eux ne souhaitent sérieusement construire une défense proprement européenne.

Une OTAN européanisée ?

Ce retour permettra-t-il néanmoins une européanisation de l’OTAN ? Nous le saurons très vite à partir de la réponse que la nouvelle administration américaine apportera à trois questions aujourd’hui cruciales pour les Européens : l’élargissement de l’OTAN, la mise en place en Europe d’un bouclier anti-missiles et les discussions sur le désarmement nucléaire.

Les pays européens n’ont aucun intérêt à une intégration de la Géorgie et de l’Ukraine dans le giron de l’OTAN. Ils ne peuvent ignorer qu’une telle intégration serait jugée comme un casus belli par la Russie. Au nom même de l’article 5 du traité de l’Alliance Atlantique, toute intervention russe dans l’un de ces deux pays appellerait automatiquement un engagement militaire contre Moscou. Or, il ne semble pas que la nouvelle Administration américaine ait renoncé à ce projet d’élargissement du moins en ce qui concerne la Géorgie.

Le président Obama a proposé à Moscou de ne plus déployer de bouclier antimissile en Europe en échange de l’aide de la Russie sur le nucléaire iranien. Mais le président Medvedev a aussitôt estimé qu’il n’était pas très « constructif  » de lier nucléaire iranien et bouclier antimissile. Or, en toute hypothèse, les Européens ne voient que des inconvénients dans l’installation d’un bouclier anti-missile qui réveille un antagonisme russo-américain sur le continent européen.

Enfin, la France, seule puissance nucléaire européenne avec la Grande-Bretagne ne saurait demeurer indifférente au tour que pourrait prendre le tête à tête entre Moscou et Washington sur le sujet du désarmement nucléaire stratégique.

Deux tests pour l’influence française

A très court terme, c’est bien l’Afghanistan qui permettra de vérifier concrètement si le retour de la France dans l’Otan offre ou non à notre pays l’occasion de davantage peser sur les orientations stratégiques de l’Alliance. Le président Obama a annoncé son intention de recentrer l’effort militaire des Etats-Unis sur l’Afghanistan à mesure du désengagement des troupes américaines d’Irak. A la demande de l’Administration américaine, la France avait déjà accru sa participation à l’effort de guerre l’été dernier en dépêchant des renforts dans la région de Kapisa. Mais nul ne peut ignorer que la stratégie américaine en Afghanistan se trouve aujourd’hui dans une impasse. Après les Russes, les Américains mesurent la difficulté de contrôler ce pays réputé foyer de terrorisme. Ils ne peuvent se retirer ni ne peuvent poursuivre la stratégie qui les a menés là où ils en sont aujourd’hui, explique Henry Kissinger. Que vont-ils décider alors qu’il est fortement question que les troupes françaises stationnées à Kaboul soient remplacées par des éléments afghans et rejoignent sous commandement américain l’est du pays, région jugée particulièrement sensible ? La France devra-t-elle, à la demande de Washington, accroître sa participation et placer ses soldats dans des situations autrement plus exposées qu’aujourd’hui ? Le gouvernement français jouera-t-il un rôle dans une éventuelle redéfinition des objectifs de l’OTAN en Afghanistan et au Pakistan ? La réponse à ces questions sera donnée avant l’été prochain.

Un second test permettra de juger dans les mois à venir du bien fondé ou non de la décision prise par Nicolas Sarkozy de renoncer à ce qui faisait jusque là l’originalité de la position française au sein de l’OTAN. Paris s’efforce depuis un an de jouer un rôle positif au Proche-Orient et d’entraîner l’Union européenne dans son sillage. Le rapprochement voulu par Nicolas Sarkozy avec Washington sera-t-il vécu par le monde arabo musulman comme un alignement sans condition sur les positions du camp occidental ? Cette ferveur atlantiste ruinera-t-elle les initiatives européennes au Proche-Orient et les efforts de la France en faveur d’une Union méditerranéenne déjà fort mal en point ? Nous ne tarderons pas non plus à le savoir.