Obama et la résolution 2118 : succès ou échec ?

L’accord russo-américain sur la destruction des armes chimiques syriennes et la résolution 2118 du Conseil de sécurité marque un tournant de la diplomatie des Etats-Unis.

« La diplomatie sans les armes, c&rsquoest comme la musique sans les instruments ». Ainsi Frédéric II de Prusse insistait sur la nécessité de maintenir une menace militaire crédible pour parvenir à une solution diplomatique. De manière opportune, Barack Obama veut croire que ce précepte a guidé l&rsquoaction de son administration dans la crise syrienne, depuis l&rsquoutilisation d&rsquoarmes chimiques à Damas le 21 août jusqu&rsquoau vote de la résolution 2118. Cette dernière, adoptée à l&rsquounanimité le vendredi 28 septembre par le Conseil de sécurité de l&rsquoOrganisation des Nations unies (ONU), encadre la destruction des armes chimiques détenues par le régime de Bachar el-Assad. Encore impensable il y a quelques semaines, la résolution 2118 clôt un mois de jeu diplomatique qui risque bien de devenir un cas d&rsquoétude incontournable pour les étudiants en relations Internationales. La politique étrangère des Etats-Unis fragilisée Car si John Kerry, le secrétaire d&rsquoEtat des Etats-Unis, soutient que la menace d&rsquoune opération militaire « limitée et sur mesure » a forcé la Syrie et son parrain russe à faire des concessions, il apparaît plutôt que la résolution 2118 est plus un exutoire salutaire pour une diplomatie américaine mal inspirée que le résultat d&rsquoune stratégie cohérente. L&rsquoindécision, si ce n&rsquoest l&rsquoimpuissance, de l&rsquoadministration Obama est ainsi apparue au grand jour. Le 21 août, après l&rsquoutilisation d&rsquoarmes chimiques à Damas dont la responsabilité est attribuée aux troupes du régime, le président des Etats-Unis tarde à réagir au franchissement de cette « ligne rouge » qu&rsquoil avait lui-même tracée. Devant la pression de son administration et d&rsquoune partie de l&rsquoopinion publique, il finit par se résigner à une frappe militaire « punitive » d&rsquoune utilité douteuse et aux objectifs obscurs. Mais suite au refus de la Chambre des communes d&rsquoengager des troupes britanniques, Barack Obama cherche alors à temporiser. Le 31 août, à la surprise générale, il requiert l&rsquoapprobation du Congrès, bien que la Constitution ne l&rsquoy contraigne pas. L&rsquointervention militaire franco-américaine est alors suspendue au vote, à l&rsquoissue plus qu&rsquoincertaine, du législateur américain. « L&rsquohomme le plus puissant du monde » a les mains liées. Les dommages pour la crédibilité américaine ne s&rsquoarrêtent pas là. Lors d&rsquoune conférence de presse avec son homologue britannique une semaine plus tard, John Kerry, à la surprise de son équipe au département d&rsquoEtat et en apparente contradiction avec la politique de la Maison blanche, ouvre la porte au dialogue avec la Syrie et son parrain russe. Les frappes ciblées, annonce-t-il, pourront être évitées si Bachar el-Assad renonce à son arsenal chimique (il ajoute, sans trop y croire : « Mais il ne le fera pas. Ça ne peut évidemment pas être fait »). Il n&rsquoen faut pas plus à Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, pour monter un coup diplomatique. Ce dernier parvient à convaincre John Kerry de considérer une solution négociée sur de telles bases. Après avoir obtenu l&rsquoapprobation timide de son collègue américain (« D&rsquoaccord. Mais ce n&rsquoest pas un jeu. [L&rsquoaccord] doit être exhaustif » aurait dit John Kerry), et s&rsquoêtre assuré du concours de la Syrie, Sergueï Lavrov rend la proposition publique. Bachar el-Assad s&rsquoengagerait ainsi à signer la Convention sur l&rsquointerdiction des armes chimiques (officiellement : la Convention sur l&rsquointerdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l&rsquousage des armes chimiques et sur leur destruction) en échange de l&rsquoannulation de l&rsquoopération militaire franco-américaine. En mauvaise posture à la veille du vote décisif du Congrès, Barack Obama n&rsquoa d&rsquoautre alternative que d&rsquoaccepter la main tendue de Sergueï Lavrov en s&rsquoengageant sur la voie diplomatique. Le retour de la Russie Le Kremlin, qui a joué avec talent une mauvaise main (« Lavrov mérite une augmentation », écrira Ian Bremmer, président de l&rsquoEurasia Group), est évidemment le grand vainqueur du bras de fer de septembre. L&rsquoinitiative Poutine-Lavrov marque en effet le retour de la Russie comme puissance majeure : l&rsquoaccord négocié à la mi-septembre par les Etats-Unis et la Russie, à l&rsquoinsu même de la France et du Royaume-Uni, avait ainsi un parfum de guerre froide. Malgré le soutien russe continu à la répression de la rébellion syrienne, la proposition de Sergueï Lavrov, à la fois pragmatique et ambitieuse, permet également de faire apparaître la Russie comme un acteur respectable et constructif sur la scène internationale. Paradoxalement, la Syrie bénéficie aussi de l&rsquoaccord auquel sont parvenus John Kerry et Sergueï Lavrov. Certes, le régime syrien se voit contraint de coopérer avec l&rsquoONU pour l&rsquoinventaire puis la destruction des armes chimiques en sa possession. Cependant, pour le prix de la renonciation à des armes à faible valeur stratégique dans le contexte de la guerre civile syrienne, les forces gouvernementales ont pu éviter des frappes militaires potentiellement très perturbantes. Et surtout : en amenant les Etats-Unis et l&rsquoEurope sur le chemin long et tortueux de la diplomatie, Bachar el-Assad a su gagner du temps et restaurer, au moins en partie, sa légitimité internationale. Pendant que diplomates et experts se concentrent sur les enjeux liés à l&rsquoélimination des armes chimiques, la guerre civile continue, cette fois avec des moyens exclusivement conventionnels. Le chemin long et tortueux de la diplomatie Les évènements de ces derniers mois constituent sûrement un moment majeur, sinon un tournant, dans la politique étrangère américaine. La lassitude de l&rsquoopinion devant l&rsquoapproche belliqueuse des années Bush, marquées par les guerres d&rsquoIrak et d&rsquoAfghanistan, n&rsquoétait plus à démontrer. L&rsquoillégalité d&rsquoune intervention militaire en Syrie au regard du droit international (par contraste avec l&rsquoopération libyenne de 2011) explique aussi, à juste titre, la réticence de M. Obama à recourir à la force. Mais les tergiversations de son administration – et l&rsquoopposition d&rsquoune large majorité du public américain – autour d&rsquoune opération militaire que John Kerry avait pu qualifier d&rsquo « incroyablement légère » (unbelievably small) est une sérieuse remise en question du rôle des Etats-Unis comme gendarme (autoproclamé) du monde. Il est aussi frappant de constater le peu d&rsquoattention accordé aux évènements de septembre de ce côté de l&rsquoAtlantique. Au moment même où John Kerry et Sergueï Lavrov entamaient les négociations sur le contenu d&rsquoune résolution sur la Syrie, les principaux médias américains mobilisaient des moyens extraordinaires pour couvrir la tuerie du « Navy Yard », à Washington, un fait divers pourtant tristement monnaie courante aux Etats-Unis. Malgré une stratégie lacunaire et une mise à exécution approximative, l&rsquoadministration Obama semble ainsi avoir trouvé en l&rsquoaccord de septembre une issue satisfaisante. La résolution 2118 est sans aucun doute un résultat bien meilleur que ce que l&rsquoopération militaire envisagée n&rsquoaurait pu produire. Mais les dégâts des évènements de septembre sur la crédibilité de la première puissance mondiale ne doivent pas être sous-estimés. Toutefois, le bras de fer diplomatique entre les Etats-Unis et la Russie sur la Syrie ne fait que commencer. En dépit de l&rsquoinsistance des diplomates américains et européens, la résolution 2118 n&rsquoinclut pas l&rsquoautomaticité des sanctions en cas de non-respect par la Syrie de ses obligations. Cette lacune sera invariablement un point d&rsquoachoppement dans les mois qui viennent. De l&rsquoavis de nombreux experts, l&rsquoobjectif d&rsquoélimination des armes chimiques syriennes reste extrêmement ambitieux, surtout si Bachar el-Assad s&rsquoattèle à freiner les progrès des inspecteurs de l&rsquoONU et de l&rsquoOrganisation pour l&rsquointerdiction des armes chimiques (OIAC). Le succès – ou l&rsquoéchec – de l&rsquoadministration Obama se mesurera ainsi à l&rsquoaune des résultats obtenus dans l&rsquoapplication de la résolution 2118.