Obama vu de France : champagne et gueule de bois

Les politiques français sabrent le champagne ce matin. Barak Obama était leur candidat. Avant même que les Américains ne le choisissent pour 44 ème président des Etats-Unis, en France, petits et grands élus, de droite come de gauche, l’avaient par avance plébiscité. Il n’est guère qu’une petite poignée d’irréductibles partisans de Mc Cain - le très libéral Hervé Novelli, par exemple, ou le villepiniste Hervé Mariton-, pour avoir résisté jusqu’au bout à cette Obamania politiquement transmissible. Bien des raisons expliquent cet enthousiasme. Certaines ont un solide fondement dans la réalité. D’autres relèvent de l’illusion.

Le monde politique français est animé d’un même souhait : celui de voir enfin tourner la page de l’ère Bush, celle d’un néo-conservatisme d’inspiration religieuse, autiste, arrogant, adepte des guerres préventives et acteur d’une politique unilatérale. A juste titre, les responsables politiques français espèrent que l’élection du nouveau président démocrate marquera l’arrêt d’un interventionnisme unilatéral qui a conduit les Etats-Unis à s’enliser dans le bourbier irakien et la fin d’un modèle conservateur, hérité des années Reagan, qui a conduit à la crise financière sans précédent dont souffre aujourd’hui l’ensemble de la planète. A raison, ils se félicitent de la double volonté de Barak Obama de refonder les relations transatlantiques et de réformer le système monétaire international. De manière quelque peu paradoxale, ils applaudissent aux Etats-Unis ce que la France semble encore avoir encore grand peine à réaliser : l’accès de personnes de couleur aux plus hautes fonctions. Mais s’ils ont des motifs sérieux et objectifs de se réjouir de cette élection, les politiques français n’en sont pas moins victimes de quelques illusions.

Malentendus transatlantiques

Illusion à gauche, d’abord, sur la personnalité politique du nouveau président américain. Le Barak Obama célébré et idéalisé par les socialistes français a peu à voir avec le Barak Obama réel. Le nouveau président des Etats-Unis n’a rien d’un champion de gauche. Il vient du centre, voire du centre-droit d’un parti démocrate dont chacun sait le progressisme très tempéré. Il est le choix de Wall Street. Il n’a pu être candidat et mener à bien cette campagne électorale conduite avec la précision d’une action militaire et un apport en dollars sans précédent que parce qu’il a reçu, outre l’astucieux secours des dons internet, le soutien de grands groupes financiers.

Ce sont ces appuis qui lui ont permis, avant même que de triompher de John Mc Cain, de battre, au sein de son propre parti, le clan Clinton. Contrairement d’ailleurs à ce que proposait Hillary Clinton, Barak Obama n’a pas l’intention de mettre en place un système de couverture santé universelle. Il entend en revanche, il est vrai, améliorer l’accès aux assurances santé. La forte attente sociale qu’il a suscitée dans les couches les plus défavorisées du peuple américain pourrait bien être déçue et entraîner éventuellement désenchantement et fortes tensions.

Nicolas Sarkozy qui, durant sa campagne électorale, célébrait les prêts hypothécaires alors encouragés aux Etats-Unis et qui, durant l’été 2007, était allé faire allégeance au président George W.Bush, explique désormais qu’il a depuis longtemps et avant tout le monde en France deviné le destin historique de Barak Obama. « Je suis le seul Français à le connaître », rappelle volontiers le président français qui l’avait rencontré une première fois en 2006, au Congrès, à Washington, et qui a gardé un « très bon souvenir  » de cette rencontre. Un Nicolas Sarkozy qui explique aujourd’hui que Barak Obama est « son copain  » et qui se vante, contrairement à ses conseillers de la cellule diplomatique élyséenne, d’avoir pensé qu’Obama serait désigné.

Désillusions à venir

Voilà qui ne signifie pas pour autant que les relations seront aisées entre les deux hommes. Ils vont se retrouver le 15 novembre prochain à Washington pour le sommet financier destiné à repenser le système financier international. Nicolas Sarkozy arrivera aux Etats-Unis avec des propositions pour de nouvelles règlementations susceptibles de prévenir ou du moins d’amortir les crises endogènes du système, règles sur lesquelles se sont mis d’accord les Européens et les pays asiatiques. Barak Obama a déjà affirmé son souhait de voir lui aussi corrigé et refondé le système actuel. Toutefois, il est bien peu probable que le nouveau président des Etats-Unis, à l’instar d’ailleurs de son prédécesseur, renonce à préserver la souveraineté économique des Etats-Unis. Il est en revanche fort vraisemblable que l’Amérique voudra édicter elle-même ses règles financières fut-ce en y mettant les formes pour ne pas froisser ses interlocuteurs européens ! C’est Barak Obama qui sera bien évidement, à côté de George Bush encore président en exercice jusqu’en janvier prochain, la vedette de cette rencontre. Quand le soleil se met à briller la lune s’estompe ! Nicolas Sarkozy n’aura plus dans cette affaire qu’un second rôle. Et, dans cette crise, il n’est nullement exclu que le président démocrate encourage un protectionnisme américain traditionnel chez les démocrates et peu favorables aux intérêts français et européens.

Rupture ou continuité ?

Les politiques français se félicitent du souhait exprimé par Barak Obama de substituer à l’unilatéralisme de George W. Bush une politique multilatérale. Ils se réjouissent qu’il veuille refonder les relations transatlantiques sur la base d’un véritable dialogue et d’une authentique coopération. Mais un grand flou caractérise encore la politique étrangère que suivra le nouveau président. La continuité, c’est-à-dire le statu quo, ne va-t-elle pas l’emporter au Proche-Orient et ruiner les espoirs européens d’un règlement et les souhaits du président français de jouer un rôle dans cette région du monde ? Barak Obama n’a-t-il pas affirmé que Jérusalem devait demeurer la capitale sans partage d’Israël ? Le successeur de George Bush n’a pas cautionné l’intervention américaine en Irak. Il a annoncé un recentrage de l’effort militaire américain sur l’Afghanistan. Quelle sera demain la réponse du président français si le nouveau président américain lui demande d’envoyer d’avantage de soldats français en Afghanistan ?

La rumeur persistante selon laquelle Barak Obama conserverait dans le nouveau gouvernement, au poste de secrétaire à la Défense, Robert Michael Gates choisi par George Bush il y a deux ans après la démission de Donald Rumsfeld, n’augure pas un profond changement. Il est donc évident que s’ils ont bien des raisons de se féliciter de l’élection de Barak Obama, les responsables politiques français devraient avoir aussi quelques motifs d’inquiétude et ne pas céder à un optimisme béat. Après avoir trop précipitamment sabré le champagne, ils pourraient bien connaître une douloureuse gueule de bois !