L’Union européenne a choisi de punir vingt-et-une personnalités – huit ukrainiennes et treize russes - tenues pour responsables ou pour complices de l’agression russe en Ukraine. Ces vingt-et-un officiels seront privés de visas et donc interdits de voyage dans les pays de l’Union européenne, et leurs avoirs seront gelés. Les Européens condamnent la tenue du référendum du 16 mars, qu’ils jugent « illégal » et dont ils refusent de reconnaître le résultat. Un référendum marqué par « la présence visible de soldats armés » et par des actions d’intimidations- envers des « militants civiques » comme envers des journalistes. Cette nouvelle étape dans la mainmise de la Russie sur une partie de l’Ukraine constitue, pour les dirigeants européens, « une claire violation » de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de ce pays.
Qui sont ces vingt-et-un accusés ? Côté ukrainien, le « premier ministre de Crimée », Sergueï Axionov, dont l’élection « en présence d’hommes armés prorusses », est jugée « inconstitutionnel », est sanctionné pour avoir mené « une campagne active » en faveur de l’organisation du référendum. Le président du Parlement, Vladimir Konstantinov, est puni pour avoir « joué un rôle significatif » dans l’adoption des décisions relatives au référendum et appelé les électeurs en faveur de l’indépendance de la Crimée. Même reproche à l’égard de son vice-président, Roustam Temirgaliev.
A Denis Berezovski il est fait grief, après avoir reçu le commandement de la marine ukrainienne, d’avoir « juré fidélité aux forces armées de Crimée, rompant ainsi son serment ». Une enquête a été ouverte pour haute trahison. Sur la liste figurent aussi Alexeï Chaliy, devenu maire de Sébastopol par acclamation populaire ; Piotr Zima, nommé à la tête du service de sécurité » de la Crimée, qui « a contribué de façon notable à empêcher les autorités ukrainiennes d’exercer leur contrôle sur le territoire de la Crimée » ; Iouri Jerebtsov, présenté comme l’un des principaux organisateurs du référendum ; Sergueï Tsekov, vice-président du Parlement, « un des premiers responsables criméens à demander publiquement l’annexion de la Crimée par la Russie ».
Côté russe, les sanctions visent dix parlementaires, qui occupent des postes importants dans l’une ou l’autre chambre du Parlement, et trois militaires de haut rang. Viktor Ozerov, président de la commission de la sécurité et de la défense du Conseil de la Fédération (chambre haute), a publiquement apporté son soutien au déploiement de troupes russes en Ukraine. Même accusation contre Vladimir Djabarov, premier vice-président de la commission des affaires internationales, Andrei Klishas, président de la commission du droit constitutionnel, Nikolaï Ryjkov, ancien président du conseil des ministres (1985-1991) et membre de la commission des affaires fédérales, Evgueni Buschmine, vice-président du Conseil de la fédération, Alexandre Totoonov, membre de la commission de la culture, et Oleg Panteleev, premier vice-président des affaires parlementaires.
A la Douma (chambre basse), Sergueï Mironov, président du groupe parlementaire Russie juste, ancien candidat à l’élection présidentielle, est visé pour avoir été l’auteur du projet de loi autorisant la Russie à « admettre en son sein, sous prétexte de la protection des citoyens russes, des territoires d’un pays étranger sans l’accord de ce dernier ou sans un traité international ». Sergueï Jeleznyak, vice-président de la Douma, a personnellement dirigé la manifestation en faveur du recours à l’armée russe. Leonid Slutski, président de la commission de la Communauté des Etats indépendants (CEI), a été un « soutien actif du recours à l’armée russe en Ukraine et de l’annexion de la Crimée ».
Enfin, les trois militaires sanctionnés sont Alexandre Vitko, commandant de la flotte de la mer Noire, responsable du commandement des forces russes qui ont occupé le territoire souverain de l’Ukraine, Anatoli Sidorov, commandant du district occidental de la Russie, considéré comme responsable d’une partie de la présence militaire russe en Crimée, et Alexandre Galkine, commandant du district militaire méridional de la Russie, jugé également responsable d’une partie de la présence militaire russe en Crimée. Les deux derniers sont également accusés d’avoir « aidé les autorités criméennes à empêcher des manifestations publiques » contre le référendum et l’annexion de la Crimée.
A la différence des sanctions annoncées par Washington, qui frappent notamment trois proches de Vladimir Poutine, dont le vice-premier ministre Dmitri Rogozine, celles de Bruxelles visent moins haut. Elle ne sont dirigées ni contre des oligarques ni contre des membres du gouvernement. Les Européens ont décidé de réagir avec modération. « Oui, les Etats-Unis viennent de Mars et nous venons de Vénus », a déclaré en souriant le ministre polonais des affaires étrangères, Radek Sikorski, en se référant à la thèse du politologue américain Robert Kagan.
L’attitude de l’Union européenne s’explique surtout par les divisions qui continuent d’opposer en son sein les partisans de la fermeté aux tenants du dialogue. La majorité des Etats veut laisser la porte ouverte à des négociations. Pour des raisons aussi bien économiques que stratégiques, elle ne souhaite pas couper les ponts avec la Russie. Le diplomate français Pierre Vimont, secrétaire général du Service européen d’action extérieure et proche collaborateur de Catherine Ashton, a récemment mis en garde les Européens contre un retour aux « réflexes » de la guerre froide.