Certes, le choix de confier Opel à Magna se justifie au noms de priorités industrielles et sociales : au prix d’un prêt garanti par l’Etat de 1,5 milliard d’euros, 95% des 50 000 postes de travail en Allemagne devraient être sauvés alors que Fiat, l’autre repreneur en lice, envisageait de réduire de 20% les effectifs.
Mais c’est aussi un choix très politique. Car derrière l’austro-canadien Magna se cache une banque russe proche du Kremlin – c’est un pléonasme —, la Sberbank détenue à 60% par la Banque centrale de Russie. Le patron de cet établissement, qui passe pour la plus grande banque d’Europe de l’Est, est German Gref, un ancien ministre de l’économie d’ascendance allemande, très lié au chef du gouvernement Vladimir Poutine et réputé réformiste. Selon le schéma adopté à Berlin dans la nuit du vendredi 29 au samedi 31 mai, la Sberbank détiendra 35% de la nouvelle Opel, à égalité avec GM, Magna se contentant de 20%, tandis que les 10% restants iront au personnel. Le constructeur automobile russe GAZ (Gorki Avtozavod) interviendra comme partenaire industriel. Il est connu pour avoir fabriqué la célèbre voiture Volga, du temps de l’Union soviétique. Il pourrait ainsi ouvrir à Opel l’accès du marché russe. Son propriétaire n’est autre que l’oligarque Oleg Deripaska, naguère l’homme le plus riche de Russie, mais qui a perdu, selon la revue américaine Forbes, quelque 25 milliards de dollars à cause de la crise. GAZ vient de bénéficier d’une aide importante de l’Etat russe. Oleg Deripaska est un ami du fondateur de Magna, dont il a été actionnaire.
Ce que Gazprom, le monopole gazier russe, n’a jusqu’à présent pas réussi, à savoir prendre des participations dans des sociétés occidentales, la Sberbank vient donc de le réussir et on peut se demander si Magna n’est pas seulement un faux nez destinée à masquer cette avancée russe sur le marché européen.
Ce n’est pas la première fois, ces dernières années, que les autorités allemandes nouent d’étroits contacts financiers et industriels avec des firmes russes qui sont des instruments de la politique extérieure du Kremlin. Le premier exemple a été la création en 2005 de la société Nord Stream, une filiale de Gazprom et de BASF, qui compte l’ancien chancelier Gerhard Schröder parmi ses dirigeants. Son objet social est la construction d’un gazoduc entre la Russie et l’Europe occidentale qui contourne les Etats baltes et la Pologne.
Un exemple plus récent a été donné, début mars, par la signature d’un protocole d’accord entre Siemens et Rosatom, l’Agence russe de l’énergie atomique, présidée par Sergueï Kirienko, qui fut premier ministre de Boris Eltsine pendant la crise financière de 1998. Pour passer cet accord, Siemens s’est désengagé de la société française Areva dont il possédait un peu plus du tiers. Siemens ne devrait pas, en théorie, avoir d’activités directement en concurrence avec Areva mais la société qui sortira de l’accord avec Rosatom a vocation à construire des centrales nucléaires « partout dans le monde », a déclaré Sergueï Kirienko.
En l’absence d’une politique industrielle et d’une politique énergétique communes à l’Union européenne, chaque pays mène ses affaires sans trop se soucier de ce qui pourrait être un intérêt général. Le gouvernement et les hommes d’affaires allemands, en particulier, ne cachent pas que les difficultés politiques passagères ne vont pas les empêcher de renouer leurs liens traditionnels avec Moscou.