La crise a des causes à la fois personnelles et politiques. Die Linke a remporté 11,9% des suffrages aux dernières élections fédérales, devançant ainsi les Verts. Le parti le doit en grande partie à la personnalité d’Oskar Lafontaine, qui a soigné sa popularité auprès des groupes touchés par la crise économique et auprès de quelques intellectuels, tout en trouvant un langage audible par les déçus de la réunification en Allemagne de l’Est. Mais Oskar Lafontaine est aussi une personnalité velléitaire. L’été dernier, il avait surpris ses camarades de parti en se portant candidat aux élections régionales dans son ancien fief de Sarre. Voulait-il déjà abandonner la politique nationale ? Quelques semaines plus tard, Oskar Lafontaine rendait public sa maladie, un cancer dont il a été opéré en novembre. « Une deuxième crise existentielle », dit-il, en faisant allusion à l’attentat dont il a été victime pendant la campagne de 1990. Il avait failli perdre la vie après qu’une malade mentale lui eut donné un coup de couteau à la gorg
A 66 ans, il veut de nouveau se consacrer à la politique en Sarre. Il est chef du groupe parlementaire au parlement régional. Mais les raisons de santé n’expliquent pas tout. Ce n’est pas la première fois qu’Oskar Lafontaine semble se retirer de la vie publique. En 1999, quelques mois seulement après la victoire de la coalition rouge-verte menée par Gerhard Schröder, il avait bruyamment démissionné de son poste de ministre des finances et de président du SPD, et il avait abandonné son mandat de député au Bundestag. Il entendait protester contre la « dérive » de la social-démocratie allemande vers la « troisième voie » chère alors à Tony Blair.
Il s’est relancé quelques années plus tard dans le grand bain politique au moment du regroupement entre les anciens communistes de l’ex-RDA et le rassemblement, à l’Ouest, des déçus de la social-démocratie et de divers groupuscules gauchistes. De cette initiative est née Die Linke, sorte de gauche de la gauche, qui a repris des revendications sociales abandonnées entretemps par le SPD. Alors que depuis la création de la République fédérale d’Allemagne en 1949, aucun parti n’avait pu s’installer durablement dans le paysage politique à la gauche du Parti social-démocrate, Die Linke, avec l’apport des ex-communistes de l’Est, a réussi à devenir le quatrième groupe parlementaire au Bundestag. Elle espère s’ancrer dans les parlements régionaux, à l’ouest, alors qu’à l’est, les communistes reconvertis participent à plusieurs gouvernements locaux.
Toutefois l’avenir de Die Linke semble compromis par des querelles internes. L’amalgame entre les Ossis (venus de l’Est) et les Wessis (de l’Ouest) est loin d’être réalisé. La distinction cache aussi des divergences politiques entre les « Realos » (réalistes qui veulent participer à des gouvernements) et les « Fundis » (fondamentalistes partisans d’une opposition radicale aux partis « bourgeois »). Les premiers se retrouvent plus à l’Est, les seconds à l’Ouest, même si Oskar Lafontaine récuse l’idée que « l’Est veut gouverner alors que l’Ouest ne le veut pas ».
Ambitions personnelles, querelles idéologiques, divergences sur les alliances, Die Linke n’a pas réussi après trois ans d’existence à se doter d’un programme politique, pour dépasser son statut d’organisation protestataire. Le SPD regarde cette situation avec un certain intérêt. Die Linke lui a coûté des voix aux dernières élections législatives, qui expliquent, en partie, son mauvais score (23%). Jusqu’à maintenant, il refusait toute alliance avec la gauche radicale, au moins au niveau fédéral, alors qu’il pourrait avoir besoin de son soutien, comme de celui des Verts, pour obtenir une majorité. Au-delà des divergences politiques, la présence d’Oskar Lafontaine à la tête de Die Linke était un obstacle à la coopération des deux partis. Les sociaux-démocrates vouaient ce « traître » aux gémonies. Son départ lève certes une hypothèque. Cependant, sonné par sa défaite de l’automne dernier, le SPD n’a pas encore défini de stratégie claire, entre une alliance à gauche qui risque de lui aliéner des voix modérées et un retour au centre que lui dispute la démocratie chrétienne d’Angela Merkel.