Où va l’OTAN ?

L’OTAN traverse une crise majeure. Sa mission, sa raison d’être même, sont mises en question – réorientation vers la défense du territoire à l’Est ou bien concentration sur la lutte contre le terrorisme venant du Sud ? Son leadership n’est plus assuré – que veulent les Etats-Unis de Donald Trump ? Que veulent les Européens ? Veulent-ils toujours la même chose ? Que reste-t-il de l’Alliance occidentale, qui entend être une communauté de valeurs ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois experts allemands – Helmut W. Ganser, Wulf Lapins et Detlef Puhl – viennent de publier une étude pour la Fondation Friedrich Ebert, qu’on peut lire sur le site de la fondation (library.fes.de). Detlef Puhl en présente pour Boulevard Extérieur les principales conclusions.

Le drapeau de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
Terra Nova

Les changements substantiels intervenus dans le domaine de la sécurité autour de l’OTAN depuis l’adoption du concept stratégique en 2010 et les divergences nationales sur l’avenir de l’Alliance rendent nécessaires des clarifications. L’OTAN a besoin aujourd’hui d’un nouveau concept stratégique qui explique pourquoi et comment l’Alliance doit s’occuper de la sécurité de ses Etats membres, qui réajuste les besoins en capacités de défense territoriale par rapport aux besoins d’intervention en cas de crise et qui définisse les moyens et les procédés dont elle a besoin pour répondre à ces défis.
En même temps, l’OTAN et la Russie ont besoin de reconstruire leurs relations sur une base nouvelle. En fait, un conflit fondamental s’est créé entre elles sur le modèle d’ordre international et d’exercice du pouvoir concernant la sécurité en Europe. Ce conflit oppose, en même temps, les deux grandes puissances que sont la Russie et les Etats- Unis, jaloux de leurs positions sur le vieux continent. Alors que l’Alliance n’a pas encore trouvé de solution à ce conflit ou n’arrive pas à se mettre d’accord pour le résoudre, elle ne devrait pas cacher ce désaccord. Elle se doit, en revanche, de rechercher des chemins nouveaux pour sortir de l’impasse et parvenir à une nouvelle détente.

La lutte contre le terrorisme

L’Alliance doit aussi se charger de trouver un accord, jusque-là inexistant, sur le rôle qu‘elle doit jouer dans le combat contre le terrorisme international. Doit-elle se concentrer sur ce défi, comme le demande le président américain Donald Trump ? Ou bien, est-ce que l’engagement qu’elle a pris récemment de participer en tant que telle à la coalition contre Daech sous leadership américain n’est-il qu’un engagement symbolique ? Le terrorisme, il est vrai, quand il est organisé de manière militaire, ne peut être combattu que par des moyens militaires. Mais des forces armées ne sont pas entrainées ni équipées pour assurer une protection contre des attentats commis au hasard sur des groupes de personnes ou contre des attentats ciblés visant des individus, même si les terroristes appliquent des méthodes militaires. Par principe, des terroristes ne doivent pas être traités comme des combattants. Dans nos Etats de droit que sont les Etats membres de l’Alliance, les terroristes doivent être poursuivis comme des criminels par des forces de police et selon les règles du droit pénal. L’Alliance n’est pas faite pour un combat généralisé contre le terrorisme ; elle n’est pas faite non plus pour des actions de prévention du terrorisme.
Le bilan des opérations militaires qu’elle a menées en Afghanistan et en Libye est mitigé. Ces opérations n’ont pas été accompagnées de concepts politiques appropriés pour permettre à ces pays de se redresser. Au contraire, ni l’Afghanistan, ni la Libye n‘ont trouvé la paix. Un retour d’expériences critique fait encore défaut. A court et à moyen terme, des opérations de cette sorte ne seront pas possibles avant que la reconstitution des forces armées nationales ne soit accomplie. Cela va prendre encore des années.
Le débat au sein de l’OTAN sur les budgets militaires nationaux ne va pas dans la bonne direction. Il se caractérise trop par la question des contributions financières (2% du PIB). Or, il n’est pas tellement intéressant de savoir combien d’argent les nations attribuent à leurs budgets de défense. Il est beaucoup plus intéressant de savoir quelles capacités militaires elles apportent à l’Alliance dans le cadre de sa planification de force, ainsi que pour les opérations en cours.

La dissuasion nucléaire

Un autre débat, longtemps dormant, ressurgit. C‘est le débat sur la dissuasion nucléaire, un débat qui doit être mené sans tabous. La sécurité de l’Europe continue à avoir besoin de la dissuasion étendue assurée par les capacités nucléaires américaines. Et les Européens ne doivent pas mettre celle-ci en doute. En même temps il doit être clair que la stabilité en Europe doit être maintenue sans augmentation des capacités nucléaires. Une certaine sérénité stratégique devrait s’appliquer dans ce domaine.
A côté de tout cela, la dynamique technologique dans le domaine des systèmes militaires automatisés représente un danger encore peu apprécié. Avec la rapidité des innovations technologiques, ainsi que la quantité et la complexité des opérations informatiques en la matière, le contrôle politique et militaire de l’utilisation de tels systèmes risque d’être perdu. Les Etats membres de l’OTAN doivent assurer que la responsabilité dans les prises de décision est assumée à tous les niveaux, au niveau national comme à celui de l’Alliance, et en toutes circonstances, par des êtres humains.

Quelle autonomie stratégique pour l’Europe ?

Enfin, pour l’OTAN il est important que l’Allemagne et ses partenaires européens se mettent d’accord sur le rôle que l’Alliance doit jouer pour la sécurité en Europe dans les années à venir. Et sur la place qui revient à l’Union européenne de défense lancée récemment. Dans ce contexte, la question se pose de saoir si une politique américaine nationaliste (America first) est compatible avec les intérêts des Européens ou bien si ceux-ci peuvent se permettre de l’ignorer comme un phénomène passager. Les Européens devaient chercher à construire une autonomie stratégique et qu’est-ce que cela veut dire pour l’Europe ?
La diversité des défis devant lesquels se trouvent l’OTAN et ses Etats membres va bien au-delà des crises traditionnelles que l’Alliance a su surmonter dans le passé. Car non seulement les menaces venant de l’extérieur se sont multipliées, si on les compare avec la confrontation entre l’Est et l’Ouest. A l’époque, les bons se trouvaient à l’Ouest, les méchants à l’Est. C’était simple. Aujourd’hui, l’Alliance se trouve menacée aussi de l’intérieur. Les attaques terroristes menées par des groupes islamistes viennent du milieu même de nos sociétés et ne sont qu’un aspect parmi d’autres des changements fondamentaux qui affectent la politique de sécurité de nos nations. Aujourd’hui, les méchants viennent du Sud ou ils sont déjà parmi nous à l’Ouest.

L’Ouest n’est plus uni

Force est de constater que l’OTAN manque d’unité dans beaucoup de domaines. Elle se trouve dans l’embarras pour répondre à des questions importantes concernant la politique de sécurité. En même temps, il n’y a pas non plus d’accord, au sein de l’Alliance, sur ce qui justifie l’utilisation des forces armées et dans quelles conditions. Il y a des nations prêtes à engager des forces militaires d’intervention pour gérer des crises. D’autres ne le sont pas ou seulement dans un cadre restreint. L’Ouest n’est plus uni ni face à un adversaire qui représente une menace pour la sécurité de tous. L’Alliance est devenue une boîte à outils dont se servent les nations selon leurs propres besoins. Ce développement a contribué à éloigner les membres de l’Alliance les uns des autres.
Cet éloignement va encore plus loin dans la mesure où des partis politiques nationalistes et populistes, voire racistes, ont obtenu des succès électoraux dans plusieurs pays membres et exercent déjà une influence majeure sur la politique nationale. Les gouvernements de Pologne et de Hongrie se trouvent déjà sur le chemin d’un système de gouvernement autoritaire. Le système politique en Turquie est en train de se dégrader et favorise l’exercice du pouvoir par un homme fort. Et même la puissance placée à la tête de l’Alliance, l’Amérique, a adopté une politique nationaliste qui nuit à son rôle, jusque-là accepté par tous, de leader de l’Occident, alors que les Européens, même avec une Union de défense qu’ils sont en train de bâtir, sont encore loin de pouvoir assumer à eux seuls un tel leadership. Dans les circonstances actuelles et si rien ne change, l’OTAN est en train de se démettre de sa fonction comme alliance de l‘Ouest, car cet Ouest n’existe plus.