Paris-Moscou 2008 : un petit goût de 1980

Le ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner est parti, dimanche 10 août pour Tbilissi et Moscou, avec un plan en trois points pour mettre fin au conflit entre la Géorgie et la Russie. Nicolas Sarkozy est arrivé mardi à Tbilissi avec le plan en six points concocté à Moscou. Par rapport à la version française, deux modifications essentielles avaient été apportées : la mention de l’intégrité territoriale de la Géorgie avait disparu ; mais était apparue la mention de « mesures de sécurité supplémentaires », en clair la possibilité pour les forces russes de patrouiller sur le territoire de la Géorgie proprement dite, en dehors des limites de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie. M. Sarkozy était-il « le petit télégraphiste » de Vladimir Poutine ?  

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire récente qu’un président français se transforme en messager du Kremlin. L’expression « petit télégraphiste »avait fait florès en 1980. Elle avait été forgée par François Mitterrand et appliquée à Valéry Giscard d’Estaing. Le premier secrétaire du PS s’apprêtait à affronter le président de la République à l’élection de 1981. C’était quelques mois après l’intervention massive des troupes soviétiques en Afghanistan, la première incursion armée de l’URSS en dehors de sa zone d’influence depuis la crise de Cuba en 1962. L’Occident s’était ému, avait protesté mais ses réactions ne sont guère allées plus loin que le boycottage par certains pays des Jeux olympiques de Moscou.

M. Giscard d’Estaing était soucieux de montrer que ses bonnes relations personnelles avec les dirigeants soviétiques et en particulier avec le secrétaire général du PC, Léonid Brejnev, le plaçaient dans une position favorable pour obtenir des concessions de Moscou. En mai 1980, il répondit donc à l’invitation d’un autre de ses amis du camp socialiste, Edouard Gierek, premier secrétaire du POUP, le parti communiste polonais, avec qui il partageait la passion de la chasse au gros gibier. Il se rendit discrètement à Varsovie pour y rencontrer Brejnev, sans même avoir averti l’ambassadeur de France à Moscou. Il est vrai que le Quai d’Orsay était plutôt réservé sur ce voyage. Mais le ministre, Jean François-Poncet, n’avait pas osé faire part de son avis au président.

M.Giscard d’Estaing est revenu plutôt satisfait de Varsovie. Brejnev l’avait assuré que les Soviétiques allaient dans de très brefs délais commencer à réduire leur contingent en Afghanistan. Le président français apporta, triomphant, la bonne nouvelle à ses collègues du G7 réunis à Venise quelques semaines plus tard. Et en effet des mouvements de troupes furent constatés à la même époque entre l’URSS et l’Afghanistan. Las, il ne s’agissait pas d’un retrait des forces soviétiques mais d’une simple relève. Les Soviétiques ne devaient quitter l’Afghanistan qu’en 1987.

Mitterrand s’était alors gaussé de son adversaire en le traitant de « petit télégraphiste » qui porte les messages du Kremlin. M. Giscard d’Estaing a pris sa revanche en 1989 en accusant son successeur à l’Elysée d’aller chercher à Moscou un allié contre la réunification allemande.