Pékin au chevet de l’euro

A peine le Conseil européen du 26 octobre achevé, Nicolas Sarkozy téléphonait au président chinois Hu Jintao pour "l’informer" des décisions prises par les dix sept membres de la zone euro. Il s’agissait en fait d’inciter les Chinois à investir dans le nouveau « véhicule » créé à côté du Fonds européen de stabilisation financière (FESF).

Dépendance, humiliation, « Munich financier » : les mots de l’opposition, des Verts au parti socialiste, n’ont pas été assez durs pour critiquer l’appel des Européens à Pékin. Le « véhicule » spécial créé pour accroître les capacités financières du FESF chargé de venir en aide aux pays de la zone euro en difficultés s’adresse en effet aux pays émergents mais en premier lieu à la Chine. L’idée en soi n’est pas mauvaise. Pour la plupart, les émergents ont des surplus commerciaux qui leur procurent des réserves monétaires importantes. Contrairement aux Etats-Unis et aux Européens criblés de dettes. Il peut être dans l’intérêt bien compris de toutes les parties que les pays excédentaires investissent dans les pays déficitaires. Tout dépend des conditions.

La Chine se trouve à la tête de quelque 3200 milliards de dollars de réserves. Elle en investit environ la moitié en bons du trésor américain et un quart en euros, le reste étant réparti entre plusieurs autres devises. Ces proportions sont approximatives car la Banque de Chine ne publie pas de statistiques. Officiellement, la Chine augmente ses achats d’euros mais cette tendance est contestée par certains experts. Elle a d’autre part investi directement en Europe, en prenant par exemple une part majoritaire dans le port du Pirée, en Grèce.

Vers un déficit chinois ?

Les dirigeants chinois l’ont affirmé à plusieurs reprises : ils sont intéressés à ce que l’Europe remette de l’ordre dans ses affaires financières et économiques et ils sont prêts à y contribuer. Ce ne sont pas que de belles paroles. L’Europe est le premier marché pour les produits fabriqués en Chine. Celle-ci a donc tout intérêt à ce que l’économie européenne ne s’effondre pas afin de maintenir le niveau de ses exportations qui restent un des principaux moteurs de sa croissance (à côté des investissements, surtout publics). Le ralentissement général de l’économie mondiale a des effets immédiats sur la balance commerciale chinoise. A tel point que le ministère du commerce a prévu un déficit pour 2012. Une estimation toutefois peu vraisemblable qui a pour objectif de faire baisser la pression des Occidentaux en faveur d’une réévaluation du yuan.

Des compensations à long terme

L’offre des Européens présente donc l’avantage pour les Chinois de leur permettre de diversifier leurs placements à l’étranger. La monnaie chinoise n’étant pas convertible, ils n’ont pas d’autre choix que de placer leurs réserves dans des devises et des titres étrangers. Mais ils ne le feront pas sans demander des contreparties. Lesquelles ? Ils ne semblent pas intéressés par un marchandage à court terme. Les dirigeants doivent aussi tenir compte de l’opinion publique. Bien que le système reste hiérarchisé et autoritaire, ils ne peuvent pas ignorer ce qui se dit sur la blogosphère (La Chine compte 500 millions d’internautes et 200 millions de mini-blogs !)

Or le Chinois de la rue fait un raisonnement simple : si l’Etat a tellement d’argent en réserve pourquoi ne pas s’en servir pour venir en aide aux plus pauvres, développer la consommation intérieure, éponger les dettes des collectivités locales chinoises, plutôt que de subventionner les Grecs qui, malgré tous leurs problèmes, sont plus riches que nous ? Raisonnement certes simpliste qui oublie que les réserves sont en dollars ou en euros inutilisables sur le marché intérieur et que la Banque centrale ne peut pas les convertir en yuans sauf à créer une inflation gigantesque.

Il faut donc des compensations allant au-delà d’une pure satisfaction de l’amour-propre chinois. Vis-à-vis de l’Europe comme des Etats-Unis, Pékin a des revendications : reconnaissance de la Chine comme économie de marché – la décision serait plus que symbolique car elle empêcherait l’Europe de prendre certaines mesures restrictives contre les importations chinoises. De toute manière, cette reconnaissance interviendra de facto en 2016, dix ans après l’admission de la Chine à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Autre demande : l’ouverture du marché européen aux entreprises chinoises, notamment pour les investissements publics.

Le FMI et l’embargo sur les armes

Des premiers commentaires chinois, il ressort que Pékin n’a pas l’intention d’investir directement dans le FESF. Si aide il y a, elle passera par le FMI qui, selon l’accord européen du 26 octobre, doit aussi être sollicité. La Chine augmentera sa dotation au FMI et du même coup demandera une augmentation de ses droits de vote et un élargissement de sa présence dans les organes dirigeants de l’institution. Les Etats-Unis et les Européens ont un quasi droit de veto au FMI. La Chine voudrait augmenter sa quote-part au-delà de 15%, ce qui lui donnerait un statut équivalent.

Reste un sujet qui risque de diviser les Européens et les Américains : la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Chine décidé après le massacre de Tien Anmen en juin 1989 et toujours en vigueur. Les Chinois demandent sa levée, notamment pour les produits dits mixtes, à usage à la fois civil et militaire. Les Américains sont contre. Les Européens sont divisés. Depuis la présidence de Jacques Chirac, la France est pour la fin de l’embargo. Les opposants européens à cette levée résisteront-ils ?