Périls dans le Pacifique

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

L’objet de la convoitise peut paraitre dérisoire, un rocher désertique de 7km2 perdu dans l’océan Pacifique. Les Chinois l’appellent Diaoyu, les Japonais Senkaku et tous le revendiquent. Il a suffi que quelques bateaux de pêche chinois s’en approchent pour que Tokyo veuille le « nationaliser ». Et des deux côtés, le ton est monté. Des manifestations antijaponaises ont eu lieu dans les grandes villes chinoises où des centaines de personnes s’en sont prises aux symboles de la présence japonaises, voitures, usines, entreprises… A tel point qu’après avoir toléré sinon encouragé ces mouvements, les autorités communistes se sont inquiété de possibles débordements et ont invité la population à exprimer sa « colère sans violence ». Les Chinois du continent ont été rejoints par leurs compatriotes de Taïwan, qui partagent les mêmes revendications, en se fondant eux aussi sur des textes datant du 15ème siècle.

La querelle n’est qu’un épisode d’une partie plus vaste qui se joue dans le Pacifique entre la Chine et ses voisins, avec la présence en arrière-plan des Etats-Unis, ce qui rend la situation potentiellement plus dangereuse encore. Car la Chine a des différends territoriaux avec d’autres pays bordant le Pacifique comme le Vietnam et les Philippines. Chaque fois l’enjeu est composé d’îles désertes ou peu peuplées mais dont le plateau continental est supposé abriter de grandes réserves pétrolières. Pékin revendique la souveraineté sur ces territoires et se dote de moyens militaires pour un jour parvenir à l’imposer. En présence du président Hu Jintao, la marine chinoise a lancé, mardi 25 septembre, son premier porte-avions.

Les voisins de la Chine sont dans une position délicate. Ils attendent beaucoup de la protection des Etats-Unis qui se sont engagés à garantir la libre circulation en mer de Chine. En même temps, ils craignent que tout rapprochement un peu voyant avec les Américains ne confortent les Chinois dans leur sentiment d’une hostilité générale dirigée contre eux, les encourageant à augmenter leur pression militaire. De plus, beaucoup de ses pays sont tributaires économiquement de la Chine et ne peuvent, de ce fait, se brouiller avec la puissance la plus proche en comptant sur la protection d’une puissance lointaine.

Barack Obama est formel : l’avenir des Etats-Unis se joue dans la Pacifique. La Chine y est une rivale qui n’a certes pas les moyens militaires dont disposent les Américains malgré une augmentation rapide de son budget militaire. Mais, contrairement à l’URSS en son temps, elle ne cherche pas à être l’égale des Etats-Unis. Elle ne veut pas être une puissance globale. Du moins à moyen terme. Il lui suffit de disposer, un jour, des moyens d’empêcher les Etats-Unis d’exercer une hégémonie sur le Pacifique voire des moyens de les chasser de cette zone. Ce qui permettrait à Pékin non seulement d’étendre son contrôle sur toute la région mais de récupérer l’archipel sécessionniste de Taïwan. Washington l’a bien compris. Et c’est pourquoi le président Obama a décidé un « pivotement » des priorités stratégiques. La force de frappe américaine se situera désormais dans la région Pacifique (au détriment de l’Europe), où 60% des moyens militaires seront concentrés.

Ni les Chinois ni les Américains ne sont prêts à en découdre. Les uns et les autres comptent sur la dissuasion pour parvenir à leurs fins sans tirer un seul coup de feu. Leur interdépendance économique et financière est trop étroite pour qu’ils n’envisagent pas avec effroi les conséquences d’un affrontement. Toutefois, les incidents autour des îles Senkaku/Diaoyu confirment qu’il est dangereux de craquer des allumettes près d’un baril de poudre.