Petite révolution à Téhéran

Des émeutes secouent Téhéran depuis le samedi 13 juin, jour de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel qui a vu la victoire officielle de Mahmoud Ahmadinejad. Les opposants au président sortant affirment que les élections ont été truquées. Après l’espoir qui s’est levé pendant la campagne, après la prise de parole des gens, des jeunes notamment, la répression qui est tombée sur les manifestants et qui s’abat maintenant sur les chefs de l’opposition va se heurter à une nouvelle prise de conscience. L’envoyée spéciale du quotidien italien La Repubblica à Téhéran Vanna Vannuccini décrit la nouvelle classe qui a voté pour Mir Hossein Mousavi.

"De quelque manière que se passent les élections, rien ne pourra plus être comme avant" dit le passager d’un taxi collectif. Son voisin confirme : "De ces débats, nous avons compris que jusque là, ils ne nous ont dit que des mensonges." De Paris, un ami iranien expatrié nous écrit qu’il ne partira pas pour le Canada, il pense à retourner en Iran, "tellement les choses vont changer maintenant".

Jamais on n’avait dépassé tant de lignes rouges. Les Iraniens, collés à la télévision comme pour un match de football, ont écouté chaque soir leur principaux dirigeants dire des noms qui étaient imprononçables jusqu’à hier. « Vous menez le pays vers la dictature » a dit Mir Hossein Mousavi à Ahmadinejad dans un face à face télévisé, en ajoutant : « c’est un dictateur, celui qui est au-dessus des lois et n’obéit à aucune règle ».

Mousavi, soutenu par le réformateur Khatami n’est pas le seul à dire que le roi est nu. Le conservateur Mohsen Rezai, ex-commandant des Pasdaran, les Gardiens de la révolution, a aussi accusé Ahmadinejad de mentir sur les chiffres de l’économie, et d’avoir « mis en danger la sécurité du pays » avec sa politique extérieure. L’Iran, à cause d’Ahmadinejad, a risqué sous la présidence Bush une attaque américaine, que seuls les mesures prises par le Guide suprême Ali Khamenei et par les chefs des forces armées ont réussi à conjurer », a dit l’ex-commandant. « Vous tous — il s’est adressé aux téléspectateurs – vous savez faire les comptes et vous savez bien combien les prix ont augmenté, et combien de chômeurs en plus vous avez à la maison ». « Vous avez fait le vide autour de vous » a-t-il dit en face à Ahmadinejad. « Aucun de vos voisins ne se sent en sécurité ; en quatre ans, vous avez changé trois fois le gouverneur de la Banque centrale. L’économie devrait être séparée de la politique. Vous avez même changé jusqu’à sept présidents d’équipes de football. »

Chaque candidat a accusé l’autre de corruption (exception faite de Mousavi, qui parait ne pouvoir être accusé de rien, après être resté vingt ans à l’ombre, et c’est pourquoi Ahmadinejad s’en est pris aux diplômes de sa femme et à Hashemi Rafsandjani qui aurait financé sa campagne électorale). Les fils de Rafsandjani se sont enrichis sur le dos du peuple, a dénoncé Ahmadinejad. A Karroubi, lui aussi ex-président du parlement et candidat réformateur, il a demandé des explications sur 300 millions de tumans (300 000 €) qu’il aurait reçus d’une personne arrêtée pour corruption. Karroubi à son tour a renvoyé à la figure du président un trou de 300 milliards de tumans dans les caisses de la ville de Téhéran, quand il en était maire, et a parlé de 700 millions de dollars que Ahmadinejad s’apprêtait à donner « à un président étranger », si le Guide ne l’en avait empêché. Kamal Tabrizi, metteur en scène du film culte Marmulak, qui dénonçait l’hypocrisie et la corruption du clergé en 2004, a écrit dans une lettre ouverte au Guide : « Mon film a été interdit alors que les mêmes choses sont dites à la télévision ! » 

Rien ne sera donc plus comme avant. Les gens ont repris la liberté de parole, même en face des réformateurs. Lors d’une rencontre avec des anciens ministres au siège du journal Ettemaad une femme a rappelé à l’un d’eux : « Dans les années 1980, quand tu étais au gouvernement, cinq mille innocents ont été condamnés. Pourquoi ? » « Parce qu’alors nous étions tous comme Ahmadinejad, a admis courageusement l’interpellé, mais depuis nous nous avons changé d’opinion et nous avons changé de route. »