Petites écoutes entre amis

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Il y a une grande part de naïveté ou de mauvaise foi dans l’indignation des dirigeants européens à la suite des révélations d’Edward Snowden. Cet ancien employé de la CIA a quitté les Etats-Unis où il a travaillé pour la NSA, l’Agence de sécurité nationale, avec des documents montrant que les Américains espionnent systématiquement les communications, les échanges d’informations, Internet et les réseaux sociaux du monde entier, y compris de leurs alliés. Selon lui, les services américains ont installé des équipements d’écoute dans la représentation de l’UE à Washington ainsi qu’à l’ambassade de France et à la représentation française à l’ONU.

François Hollande s’en est ému. Il a demandé que ces pratiques cessent « immédiatement ». On ne s’espionnerait donc pas « entre amis » ? Ce serait être bien ingénu de le croire. Les Américains reprochent d’ailleurs aux services français d’être aussi très actifs dans la surveillance… de leurs alliés. Rien de nouveau donc, dans les « révélations » d’Edward Snowden. Dans les années 1990, un journaliste écossais avait dévoilé l’activité du réseau Echelon, un ensemble de bases d’interception des télécommunications dont la principale se trouvait en Grande-Bretagne. Ce reliquat de la Deuxième guerre mondiale puis de la guerre froide servait à obtenir des informations économiques et commerciales.

Simplement ces pratiques doivent en principe rester discrètes. Si nouveauté il y a, elle tient à l’ampleur des moyens mis en œuvre par les Etats-Unis que les Européens, le voudraient-ils, ne peuvent pas concurrencer. Elle tient aussi aux possibilités offertes par les techniques nouvelles liées à l’industrie du numérique. Celles-ci permettent une interception des communications et des informations sur une échelle inconnue jusqu’alors. Pour les Américains, rien de scandaleux. Le Patriot Act adopté après les attentats du 11 septembre 2001 autorise l’écoute des conversations téléphoniques sans décision judiciaire. Barack Obama n’a rien changé à cet héritage de George W. Bush. 62% des Américains donnent la priorité à la sécurité sur le respect de la vie privée.

Les « révélations » de Snowden auront-elles des conséquences diplomatiques ? Laissons de côté le cas de la Russie qui a beau jeu de se présenter à la fois comme un refuge pour un fugitif poursuivi par les méchants Américains et comme une puissance responsable puisque Poutine a interdit à Snowden de continuer ses « révélations » depuis le territoire russe.

Les dirigeants européens manifestent leur mécontentement, promettent de se concerter pour apporter une réponse commune à Washington, évoquent un ajournement des négociations sur la zone de libre-échange transatlantique. Mais il est peu probable qu’ils aillent au-delà. Quand l’émotion sera retombée, tout le monde reviendra à l’ordre du jour parce que les enjeux de la négociation dépassent les susceptibilités passagères. Il serait bon cependant de s’assurer que, grâce à leur système d’espionnage, les Américains ne connaissent pas à l’avance les positions des Européens et surtout… leurs divergences.