Comment expliquer la vague d’euroscepticisme qui touche aujourd’hui, avec plus ou moins d’intensité selon les Etats, l’ensemble de l’Europe et qui s’exprime aussi bien dans les sondages que dans les élections ? Et surtout comment en sortir et rendre confiance aux citoyens dans les institutions et les politiques européennes ?
Pourquoi cette montée du « désamour » à l’égard de l’Union européenne ? Tout s’est bien passé jusqu’au traité de Maastricht, dans les années 90, estime Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen et ardent partisan de l’Union européenne, mais le problème, selon lui, est que, « au moment où l’Europe a basculé dans le fédéralisme monétaire, les euro-tièdes ont pris le pouvoir ». Succédant à des pro-européens déterminés, Chirac en France, Berlusconi en Italie, Aznar en Espagne, Schröder en Allemagne se sont montrés incapables de faire face aux crises qui ont frappé l’Europe. « L’Europe intégrée a été gérée pendant quinze ans par des gens qui n’en voulaient pas ». Résultat : « on a empêché l’Europe de faire ce qu’elle devait faire ».
Chef de la représentation en France de la Commission européenne, Anne Houtman a conscience de la « désillusion » des peuples européens par rapport aux attentes qu’ils pouvaient nourrir. « L’Europe, dit-elle, n’a pas su protéger les citoyens durant la crise ». Mme Houtman souligne les « malentendus » créés par les euro-tièdes, en particulier les décisions européennes « jamais assumées au niveau national », et l’impression donnée aux citoyens d’un manque de solidarité mais aussi de démocratie.
Ces reproches adressés aux hommes politiques sont formulés aussi par Joachim Fritz-Vannahme, directeur des projets européens de la Fondation Bertelsmann, pour qui l’absence de respect pour les dirigeants politiques dans la plupart des Etats est « un élément-clé » de la crise, et par Gian-Giacomo Migone, ancien sénateur italien, qui critique la « faiblesse » de la classe dirigeante et de l’administration dans son pays, privés d’une partie de leurs pouvoirs par la mondialisation.
Jean-Louis Bourlanges souligne l’incapacité des gouvernements européens à adapter leurs pays à la mondialisation, malgré les avertissements de l’ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, tandis que Gian-Giacomo Migone dénonce les politiques d’austérité et le poids du chômage, en particulier celui des jeunes. L’Europe a révélé son impuissance. En conséquence, l’ambition européenne s’est largement délitée au cours des quinze dernières années.
Comment retrouver l’élan perdu et répondre à ceux qui doutent ? Réponse : en allant vers l’union politique. « Tout le monde le dit, même les gouvernements qui font le contraire », note Gian-Giacomo Migone. C’est le nouvel horizon des dirigeants européens. L’idée progresse en Allemagne, affirme Joachim Fritz-Vannahme. En France, François Hollande en a fait officiellement son objectif. Peut-être eût-il mieux valu commencer par là plutôt que par l’économie, objecte un contradicteur. « Jean Monnet a commencé là il le pouvait, réplique Jean-Louis Bourlanges. C’était la seule façon d’avancer ».
La méthode a fait ses preuves. Elle montre aujourd’hui ses limites. Anne Houtman souligne qu’il faut en Europe plus de coordination économique entre les Etats membres, plus d’harmonisation fiscale et sociale, plus de légitimité démocratique. Elle souligne les efforts de la représentation de la Commission en France pour convaincre l’opinion publique, en mobilisant les associations, en organisant des « dialogues citoyens », en cherchant à toucher, au-delà des habitués, les non-initiés. Joachim Fritz-Vannahme appelle à la définition d’un intérêt commun européen. Il juge normale l’existence de divergences économiques à l’intérieur d’un ensemble fédéral, à condition qu’il y ait une « convergence politique ».
Le salut viendra-t-il d’une plus grande politisation des enjeux européens, c’est-à-dire d’une réactivation du clivage droite-gauche ? Sur ce point, les avis des experts divergent. Pour Gian-Giacomo Migone, face à la « faillite de la pensée unique », une telle politisation permettrait d’imposer un vrai débat en faisant ressortir les différences entre les programmes. C’est aussi la position d’Anne Houtman. « On a besoin de montrer aux citoyens qu’il y a des choix », dit-elle. En revanche, Jean-Louis Bourlanges n’approuve pas ce qu’il appelle la « démocratie de confrontation », à laquelle il oppose la « démocratie de négociation ». Selon lui, il n’y a pas « une Europe de droite contre une Europe de gauche ». « La confrontation n’exclut pas la négociation », réplique Gian-Giacomo Migone.
Le moment semble venu de relancer le projet européen. Jean-Louis Bourlanges constate « un retour du besoin d’Europe » après la dissipation de la « triple illusion » qui a marqué les années 90 : l’illusion de la mondialisation heureuse, celle de la fin de l’histoire et celle de l’hyperpuissance américaine. Du coup l’espace européen redevient pertinent. Mais les « organes » ne suivent pas. La question est de savoir s’ils vont renaître, au service d’une gouvernance commune.