Si les conservateurs sont arrivés largement en tête des élections à la Chambre des communes, aucun des trois principaux partis n’a atteint les objectifs qu’il s’était fixés pendant la campagne. Les tories ont manqué de vingt sièges la majorité absolue des sièges, le Parti travailliste a été sévèrement battu et les « lib-dems » ont perdu quelques circonscriptions par rapport aux élections de 2005 malgré la côté de popularité de leur charismatique leader Nick Clegg. Ils font à peine mieux en pourcentage de voix (23%) qu’il y a cinq ans et moins bien que leur lointain ancêtre, l’Alliance entre les sociaux-démocrates et les libéraux qui en 1983, l’année de sa création, avait recueilli 25% des suffrages.
A l’époque, l’Alliance n’avait pas été mesure de briser le face à face conservateurs-travaillistes. Dans la foulée de la guerre des Malouines, Margaret Thatcher avait remporté une nouvelle fois la majorité à la Chambre des communes, malgré une politique fiscale impopulaire.
Cette fois, le tiers-parti essuie une certaine déconvenue mais est en mesure de s’imposer, soit aux conservateurs, soit aux travaillistes, bien que la coopération avec Gordon Brown apparaisse l’hypothèse la moins probable.
Que sortira-t-il des négociations qui ont commencé dès le lendemain du scrutin ? Les thèses des tories et des « lib-dems » sont difficilement compatibles, que ce soit à propos de l’Europe, de l’immigration ou des finances publiques. Mais David Cameron comme Nick Clegg devraient être prêts à des compromis pour sortir la Grande- Bretagne d’une impasse constitutionnelle telle qu’elle n’en a pas connue depuis 1974. Un gouvernement de coalition ou un soutien sans participation sont les deux possibilités en discussion.
Un des sujets de division entre les deux partis est la réforme du mode de scrutin. Le principe « first-past-the-post » — le candidat arrivé en tête dans chaque circonscription emporte le siège de député, quel que soit son nombre de voix – favorise les grandes formations et handicape le parti centriste. C’est pourquoi les libéraux-démocrates insistent pour une réforme du droit électoral qui introduise une dose de proportionnelle (avec 23% des voix, les « lib-dems » ont moins de soixante députés sur 650). Les travaillistes proposent un référendum sur une réforme du mode de scrutin. Les conservateurs sont beaucoup plus prudents. David Cameron parle de créer une commission chargée de réformer la vie politique britannique, sans autre précision.
Pour Nick Clegg, il est indispensable d’obtenir cette réforme avant de nouvelles élections qui risquent de donner une majorité absolue aux tories. Or l’expérience de la politique britannique montre qu’un gouvernement minoritaire ou faible débouche sur un nouveau scrutin au bout de quelques mois, la date des élections étant laissé au bon vouloir du Premier ministre qui décide en fonction de ses intérêts bien compris. Les « lib-dems » ont aujourd’hui une chance qu’ils ne doivent pas laisser passer de « casser le moule » de la politique britannique, comme le disaient les fondateurs de l’Alliance, voilà près de trente ans. Une telle occasion ne se représentera pas de sitôt.
S’ils obtiennent une forme de proportionnelle, ils pourront s’installer de manière permanente comme une troisième force entre les deux grands partis, susceptible de s’allier tantôt avec les conservateurs, tantôt avec les travaillistes. Pour la Grande-Bretagne, ce serait une véritable révolution qui la rapprocherait de nombreux systèmes politiques de l’Europe continentale. Shocking !