Il n’est pas sûr que le paysage politique, en France comme dans le reste de l’Union européenne, soit dominé, comme le soutient Emmanuel Macron, par un clivage radical entre les « populistes » et les « progressistes », ne serait-ce que parce le progressisme est une notion plutôt floue. En revanche, sur la question européenne, l’opposition entre ces deux grandes forces, quel que soit le nom qu’on leur donne, existe bel et bien. Elle est même au cœur de la campagne pour les élections européennes, dessinant deux projets politiques fortement contrastés. Elle s’est exprimée d’une manière spectaculaire au Royaume-Uni par le vote sur le Brexit, qui a divisé les électeurs et continue de les déchirer. Sur ce point Emmanuel Macron a raison : deux visions du monde s’affrontent, qui semblent clairement incompatibles. Les électeurs devront choisir entre l’une et l’autre, par-delà les nuances qui séparent les listes en présence.
L’antagonisme entre les deux camps est fondamental. Il structure le débat européen dans la plupart des pays du Vieux Continent. Il prend la forme d’une confrontation entre l’alliance des « nationalistes », incarné à la fois par l’extrême-droite, une partie de la droite et une partie de l’extrême-gauche, qui défend la nation contre l’Europe au nom de la souveraineté des Etats, et la coalition des pro-Européens, qui rassemble les libéraux, les démocrates-chrétiens, les sociaux-démocrates, plaide pour une plus grande intégration de l’Union européenne dans les domaines de sa compétence et refuse le repli des nations sur elles-mêmes. Aucun de ces deux groupes n’est vraiment unifié. Il y a à l’intérieur de chacun d’eux, et en particulier chez les pro-Européens, des différences. Mais, pour l’essentiel, ils convergent pour aller, les uns vers le démantèlement de l’Union européenne, les autres vers sa consolidation.
Budget, armée, droit d’asile
L’hebdomadaire Marianne a interrogé les principales têtes de liste françaises sur leur programme européen. Il leur a posé les mêmes questions. Sur tous les sujets qui impliquent un certain degré d’intégration européenne, les réponses sont clairement positives chez ceux qui sont considérés comme favorables à l’Union européenne, même s’ils critiquent plusieurs aspects de son fonctionnement actuel, et clairement négatives chez ceux qui la condamnent. Nous avons retenu quatre des questions posées par l’hebdomadaire. Faut-il mettre en place un budget de la zone euro ? Faut-il créer un mécanisme européen de droit d’asile ? Faut-il créer une armée européenne ? Pensez-vous qu’il existe un peuple européen ? Sur ces quatre sujets les anti-Européens se distinguent nettement des pro-Européens.
Un budget de la zone euro ? « Non, répond François-Xavier Bellamy, chef de file de la liste Les Républicains, le budget est un acte de souveraineté essentiel. Il doit rester du ressort de chaque Etat ». « Non, répond également Jordan Bardella pour le Rassemblement national. Un budget de la zone euro aggraverait la situation : coûteux pour les Français, il démantèlerait davantage encore notre souveraineté économique et budgétaire ». « Non, répond Manon Aubry pour la France insoumise. En l’état, l’euro est une devise contrôlée par la BCE et, de fait, l’Allemagne, qui en ont fait un outil d’austérité et de chantage ».
« Oui, affirme en revanche Nathalie Loiseau pour la République en marche. Nous défendons la mise en place d’un budget de la zone euro ambitieux servant d’une part à financer les investissements permettant d’accélérer la convergence et l’intégration de nos économies et d’autre part à venir en aide aux pays en crise ». « Oui, estime Raphaël Glucksmann pour le PS et Place publique. Un budget de la zone euro est la suite logique de l’adoption de l’euro. Il doit permettre aux États de se doter d’un outil permettant de nous protéger en cas de nouvelles crises économiques ». Pour sa part, Yannick Jadot, tête des listes des écologistes, quoique pro-Européen, répond non, pour ne pas « créer une Europe dans l’Europe », mais il ajoute : « En lieu de budget de la zone euro il faudrait rehausser le budget actuel de l’Union européenne à au moins 5% de son PIB, et en consacrer au moins 50% au climat ».
Un mécanisme européen de droit d’asile ? « Non, dit Manon Aubry, un mécanisme européen de traitement des demandes d’asile serait une grave atteinte à la souveraineté des Etats membres ». « Non, soutient François-Xavier Bellamy, chaque Etat doit pouvoir décider en fonction de ses capacités d’accueil ». « Non, affirme Jordan Bardella, c’est aux nations et aux peuples de décider souverainement de leur politique d’immigration ».
« Oui, répond Nathalie Loiseau, nous sommes favorables à un Office européen de l’asile pour harmoniser les critères et coordonner les démarches nationales et à une reconnaissance mutuelle des décisions ». « Oui, dit aussi Raphaël Glucksmann. Il faut renforcer le régime d’asile européen et conduire une véritable politique européenne pour faire exister l’Europe de l’asile ». Oui, acquiesce Yannick Jadot, qui juge « hautement souhaitable » la création d’une agence indépendante chargée d’organiser la répartition des réfugiés.
Une armée européenne ? « Non, répond Manon Aubry. La défense et l’usage de la force militaire doivent se faire dans le cadre de la souveraineté populaire. Il n’existe pas de souveraineté populaire européenne. Il ne peut donc exister d’armée européenne ». « Non, dit aussi François-Xavier Bellamy. Ce n’est ni réaliste ni pertinent. La décision d’envoyer des soldats en opérations, ou la dissuasion nucléaire, ne peut revenir qu’aux Etats ». « Non, déclare Jordan Bardella, qui pense que « la France a une voix singulière à porter » et qui refuse l’idée qu’un Jean-Claude Juncker puisse décider d’envoyer nos soldats à l’étranger verser leur sang ».
« Oui, estime Nathalie Loiseau. Avancer vers l’armée européenne est essentiel pour assurer notre autonomie stratégique - chaque État devant rester souverain quant à sa décision d’engager ses troupes ». « Oui, dit Raphaël Glucksmann. Si nous sommes encore loin de la possibilité d’une armée européenne, les convergences doivent se poursuivre ». Oui, confirme Yannick Jadot. L’Europe doit constituer une force armée européenne » pour « faire entendre la voix de la raison et s’affirmer comme un pôle de stabilité promouvant la négociation ».
Dernière question : existe-t-il un peuple européen ? Les réponses sont sans surprise. « Non, dit Manon Aubry. L’Europe est formée de peuples distincts. La culture, l’autonomie et la souveraineté de chacun doivent être préservées ». « Non, répond François-Xavier Bellamy. Il y a plusieurs peuples européens, chacun avec sa culture, liés par une même civilisation ». « Non, affirme Jordan Bardella. L’Europe est forte par la diversité des nations et des peuples qui la constituent ». « Oui, déclare Nathalie Loiseau. Les citoyens européens forment des peuples liés par un socle commun d’histoire et de valeurs communes ». « Oui, dit Raphaël Glucksmann, il est une aspiration qui se construit chaque jour ». « Oui, estime Yannick Jadot, l’Europe unit des régions et des peuples solidaires ».
Défense des souverainetés nationales ou esquisse d’une souveraineté européenne : aux électeurs de trancher, en France comme dans le reste de l’Union européenne.