Pour une fédération européenne d’Etats-nations

Désireuse de « remettre un concept au goût du jour », Gaëtane Ricard-Nihoul , analyste politique à la Représentation de la Commission européenne à Paris depuis février 2011, vient de publier aux Editions Larcier Pour une fédération européenne d’Etats-nations - La vision de Jacques Delors revisitée. Interview réalisée par Florence Safa pour le think tank « Notre Europe », créé par l’ancien président de la Commission, qui a préfacé l’ouvrage. 

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

J’ai une grande admiration pour l’inventeur de ce concept de « Fédération européenne d’Etats-nations », Jacques Delors, à qui le projet européen doit beaucoup. L’intuition politique qu’il a eue m’a toujours parue extrêmement pertinente. Il me semblait utile de remettre cette idée au goût du jour – dans un contexte de crise où le fédéralisme revient dans les discours mais sans véritable contenu – en essayant de décrire ce que cela pouvait vouloir dire sur le plan à la fois théorique et pratique.

J’ai en particulier essayé d’expliquer comment un tel concept pouvait dénouer ce qui sont pour moi les trois derniers « noeuds » de l’intégration européenne, à savoir la question de la répartition des compétences (qui fait quoi), du gouvernement (qui décide) et de la démocratie (avec quelle légitimité).

Qu’est-ce-qu’une « Fédération européenne d’Etats-nations » ?

La Fédération d’Etats-nations n’est pas un Etat fédéral. Je me suis beaucoup inspirée des travaux d’un juriste français, Olivier Beaud, qui dans un ouvrage intitulé Théorie de la Fédération, propose de se départir de la dichotomie classique entre fédération et confédération pour considérer la Fédération comme un régime politique à part entière, au même titre que l’Etat et l’Empire. Dans cette conception, une Fédération est la réalisation dynamique – mais nécessairement imparfaite – de deux aspirations contraires. Elle est la conciliation de l’unité et de la diversité.

L’objectif de l’ouvrage est de montrer qu’il est possible de renforcer l’efficacité et la légitimité de l’action collective européenne tout en s’appuyant sur les Etats.

Quels en sont les principes fondateurs ?

Il s’agit de penser les rapports qui existent entre la fédération et ses Etats membres d’une manière qui reflète à la fois la séparation et la connexion entre ces niveaux de pouvoirs. Ce que l’on a appelé la « méthode communautaire » – et que l’on a tendance à confondre avec un mode de décision très centralisé à Bruxelles – est en réalité la plus optimale pour penser ces rapports. A travers le fonctionnement du fameux « triangle institutionnel », elle permet de trouver le compromis entre indépendance et interdépendance.

Trois principes importants sous-tendent cette méthode : le vote à la majorité, la répartition claire des compétences entre niveaux de pouvoir mais aussi celui de la double citoyenneté et de la double légitimité de l’UE (celle des Etats et celle des citoyens).

Quels sont les principaux obstacles à son élaboration ?

L’obstacle principal me semble être celui du décalage incompréhensible qui subsiste aujourd’hui entre l’évolution de la pensée fédéraliste et des Fédérations dans le monde et les références fédérales que les responsables politiques continuent d’utiliser. En France ou au Royaume Uni, on emploie encore le terme « fédéralisme » comme un synonyme de centralisation et de supranationalisme et on oublie que si une Fédération ne peut survivre sans unité, elle meurt aussi sans diversité. Avec des Etats aussi divers d’un point de vue historique, politique, linguistique et culturel, il est évident qu’on ne construira pas un projet européen qui balayera ces diversités mais qui en fera un atout, les protégera et les encouragera. C’est cela qu’il faut expliquer aux citoyens plutôt que de brandir l’épouvantail d’un Etat fédéral qui gommera leur identité spécifique.

Comment avez-vous « revisité » la vision de Jacques Delors sur cette question ?

J’ai surtout essayé de pousser son idée un peu plus loin que ce qu’il avait eu l’occasion de faire dans ses différentes interventions, tout en tentant à la fois de m’inspirer de l’ensemble de ses réalisations et de ses propositions, et de m’appuyer sur des réflexions et des expériences plus personnelles.

Quels sont les défis et les enjeux actuels pour la construction de l’Europe de demain ?

Je pense qu’il y a urgence à redonner du sens au projet de construction européenne. Délimiter les contours d’une vision que les Etats pourraient partager est essentiel pour assurer la cohérence des choix qui sont faits. Avec le contexte de crise, on a beaucoup décidé dans l’urgence mais nous avons devant nous une échéance importante : les élections européennes. J’aimerais beaucoup qu’elles soient l’occasion d’un vrai débat, aux niveaux national et européen, sur le type d’Union que les Européens souhaitent.

Avez-vous un message à faire passer compte tenu de la situation actuelle ?

Mon ouvrage explore plusieurs pistes sur trois problématiques : la question de la répartition des compétences, celle du gouvernement européen et celle de la démocratie. Sur les compétences, la majorité des défis relèveront des compétences partagées. Il faut identifier là où l’action européenne a une valeur ajoutée – et assumer dans ce cas de donner les moyens à l’UE pour la mener – et là où le niveau national ou régional restent pertinents. Sur la question de la démocratie, il faut absolument parvenir à dépasser ce débat stérile sur l’existence ou non d’un demos européen. Si la démocratie européenne a besoin d’acteurs européens, elle ne pourra pas se développer sans s’appuyer sur les démocraties nationales qui restent le lieu privilégié d’expression de la citoyenneté. Il faut renforcer le dialogue entre démocratie nationale et démocratie européenne. Sans ce dialogue et sans s’assurer du fondement démocratique de toutes les avancées, on risque d’accroître la distance persistante entre les citoyens et le projet d’unification européenne et mettre en péril sa survie.