Pourquoi Angela Merkel restera chancelière

A cinq semaines du scrutin qui aura lieu le dimanche 27 septembre pour renouveler le Bundestag, plusieurs scénarios se dessinent. Tout laisse néanmoins penser que les électeurs opteront pour la continuité : la campagne électorale n’a pas encore commencé et beaucoup pensent qu’elle ne démarrera jamais.

Un gros titre barrait, l’autre jour, la troisième page de l’International Herald Tribune  : « Consensus sur les élections allemandes : ennuyeuses ». L’intérêt du public est quasiment nul, à peine réveillé par le film du comique Hape Kerkeling, « Horst Schlämmer : je suis candidat ». Tiré d’un sketch tournant la politique en dérision, Horst Schlämmer est la quintessence du petit-bourgeois un peu poujadiste. Hape Kerkeling aurait pu être pour l’Allemagne ce que Coluche, qui s’était fugitivement porté candidat à l’élection présidentielle de 1981, avait été pour la France. Il n’en reste pas moins que 18% des électeurs allemands verraient bien « Horst Schlämmer » à la chancellerie !

Angela Merkel ne craint pas cette concurrence. Ni aucune autre d’ailleurs. Sa reconduction à la tête du gouvernement allemand est, sauf catastrophe, une chose acquise. Son parti, la CDU-CSU a une large avance sur le parti social démocrate (SPD) – 37 % des intentions de vote contre 23%, selon les derniers sondages et quand les Allemands sont interrogés sur la personne qu’ils veulent voir à la chancellerie, 64% répondent Angela Merkel, contre 23% pour son challengeur, le social-démocrate et actuel ministre des affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier.

Quelle alliance ?

Cette absence d’incertitude sur l’issue du scrutin explique en partie le désintérêt des électeurs. Le seul point d’interrogation porte sur le type d’alliance que Mme Merkel devra nouer pour former son gouvernement. D’après les chiffres actuels, une coalition « bourgeoise » avec les libéraux (FDP), crédités de 14% des intentions de vote, aurait la majorité absolue au Bundestag. C’est le souhait affiché par les deux partis. Mais un effritement, au fil des semaines, de la CDU-CSU comme du FDP, pourrait menacer le projet. Le 30 août ont lieu trois scrutins régionaux, en Saxe, en Thuringe et en Sarre, qui en eux-mêmes n’ont pas beaucoup d’importance, mais qui devraient se traduire par un affaiblissement au moins symbolique de la CDU.

L’autre solution serait alors une reconduction de la grande coalition entre la démocratie-chrétienne et la social-démocratie, la même qui a gouverné l’Allemagne pendant les quatre dernières années. La perspective n’est pas faite pour déplaire en principe aux Allemands qui aiment les solutions consensuelles, surtout en période de crise. Elle n’a rien pour enflammer la campagne électorale.

D’autant que, à peu près sûre de son fait, Mme Merkel n’a aucun intérêt à provoquer des controverses. Elle occupe la scène en se comportant en « homme d’Etat », si l’expression est pertinente, en rencontrant le président russe Dmitri Medvedev ou en célébrant le 20è anniversaire du démantèlement du rideau de fer à la frontière austro-hongroise, ce qui lui permet de rappeler son passé est-allemand.

Le seul parti qui a, électoralement, intérêt à provoquer un débat est le SPD. Mais il se trouve dans une position difficile. Il a gouverné pendant quatre ans avec Angela Merkel ; il avait au gouvernement autant de ministres que la démocratie-chrétienne. Peut-il mettre fondamentalement en cause une politique qu’il a soutenue, voire inspirée ?

L’enjeu afghan

Une polémique vient de faire son apparition à propos de la présence des troupes allemandes en Afghanistan. Le chef du FDP, Guido Westerwelle, qui cherche à se donner une stature internationale – il espère être ministre des affaires étrangères d’une coalition « bourgeoise » —, s’est prononcé pour leur retrait. M. Steinmeier lui a emboîté le pas, deux jours après avoir affirmé que le contingent allemand était sur les pentes de l’Hindou Kusch pour dix ans au moins, comme l’ensemble des forces internationales. L’idée d’un retrait des soldats allemands correspond aux vœux de l’opinion, majoritairement hostile à la guerre en Afghanistan, mais ce revirement de la part de quelqu’un qui a soutenu l’intervention depuis plus de huit ans, d’abord comme proche collaborateur du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, ensuite comme ministre des affaires étrangères, n’ajoute pas à la crédibilité du candidat SPD.

Il est certain que la grande coalition entre les deux grandes formations populaires, démocratie-chrétienne et social-démocratie, a contribué à anesthésier la vie politique allemande. Mais il n’en a pas été toujours ainsi. En 1969, la sortie de la première grande coalition de l’histoire de la République fédérale a donné lieu à un affrontement frontal entre la CDU-CSU menée par le chancelier sortant Hans Georg Kiesinger, et le SPD conduit par le vice-chancelier et ministre des affaires étrangères, Willy Brandt. La différence fondamentale entre 1969 et 2009 est qu’à l’époque, le SPD qui avait été pendant trois ans le « junior partner » de la grande coalition, allait à la bataille électorale avec un thème, une coalition et un leader.

2009 n’est pas 1969

Le thème, c’était l’Ostpolitik, la politique à l’Est, autrement dit la volonté de normaliser les relations avec l’URSS et ses satellites, afin d’obtenir un modus vivendi entre les deux Etats allemands qui permettrait un allègement des conditions humanitaires des deux côtés du Mur. La démocratie chrétienne y voyait une trahison de l’aspiration à l’unité allemande ; les sociaux-démocrates, le moyen de surmonter les conséquences de la division.

Ils avaient trouvé des alliés. Les libéraux, qui après avoir été chassé du gouvernement en 1966, avaient profondément renouvelé et leur personnel dirigeant et leur programme politique. Ils considéraient l’Ostpolitik comme un moyen de se régénérer. Avant même le scrutin de septembre 1969, l’alliance potentielle entre le FDP et le SPD avait produit ses effets, avec l’élection, en mai, à la présidence de la RFA d’un social-démocrate, Gustav Heinemann.

Enfin, les sociaux-démocrates avaient un leader charismatique, Willy Brandt, ancien maire de Berlin-Ouest. Il avait échoué plusieurs fois à conquérir la chancellerie mais après les années 1967-1968 de révolte de la jeunesse, il incarnait l’espoir d’une rupture avec l’Allemagne adenauerienne, conservatrice, petite-bourgeoise et sectaire.

Le résultat du scrutin fut serré mais la coalition libérale-socialiste a duré, à travers quelques péripéties, jusqu’en 1982, d’abord avec Willy Brandt, ensuite avec Helmut Schmidt à la chancellerie. En cette année 2009, le SPD n’a ni thème porteur – il a été le co-gestionnaire de la crise —, ni alliance à proposer, en dehors de la reconduction de la grande coalition, ni leader charismatique, malgré toutes les qualités de Frank Water Steinmeier. Ce n’est pas la recette du succès.